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communications, profite à l’humanité ; mais le gouvernement russe ne se paie pas de mots : plus national qu’humanitaire, il songeait avant tout à la patrie. Son plan était purement stratégique et calculé pour la défense de l’empire. De grandes lignes tracées du nord au sud, depuis Sweaborg et Viborg jusqu’à la Mer-Noire, c’est-à-dire de la Finlande à la Crimée, permettent le prompt envoi de troupes à ces deux frontières, atteintes toutes deux en 1855 par la ruine de Sébastopol et l’incendie de Sweaborg. Les autres lignes ferrées sont dirigées vers les frontières de l’Allemagne. La Russie, n’ayant rien à craindre du côté de l’Orient, n’a pas jugé urgente la construction de chemins de fer dans cette direction ; mais en traçant quatre voies ferrées vers l’Occident, elle a eu soin de les faire aboutir à cette suite de forteresses dont la ligne est, en quelque sorte, infranchissable. Un quadrilatère formidable a été créé entre la Prusse au nord et l’Autriche au midi. Ces quatre forteresses sont Varsovie, Modlin, Ivangorod et Brzesc-Litewski. Varsovie intercepte les routes de Posen, Breslau, Lemberg et Cracovie. Modlin est, dit-on, la forteresse par excellence. Une armée de 20,000 hommes peut trouver asile dans ses seules casemates. A Modlin, point de population civile ; des soldats seulement. Elle n’offre aucune prise à l’ennemi. Tout l’art du défenseur de Sébastopol, le général Totleben, a été déployé dans la création de cette citadelle, qu’un officier anglais représente comme « immense, sombre, silencieuse, aussi propre à l’attaque qu’à la défense. » Brzesc-Litewski n’est pas moins forte. Une armée en retraite trouverait dans l’une et l’autre un refuge inexpugnable. Une armée étrangère y serait immobilisée pour longtemps ; enfin la Russie s’en ferait un point d’appui très solide au sortir de ses frontières.

Ce quadrilatère est le plus fort anneau de la chaîne de forteresses érigées contre l’Occident ; elle se développe le long des deux fleuves qui couvrent, du côté de l’Europe, le territoire de l’empire. Ces fleuves sont le Dnieper, qui coule au sud et débouche dans la Mer-Noire, et la Duna ; courant au nord pour se perdre dans la Baltique à Riga. Entre les deux sources de ces fleuves, l’interruption est couverte par la Berezina, où le gouvernement russe a placé Bobruïsk, autre forteresse de grande importance. Donc, en remontant du sud au nord, on trouve Kertch, à cheval entre la Mer-Noire et la mer d’Azof ; Kief, qui défend le bassin du Bas-Dnieper ; Bobruïsk ; Dunabourg sur la Duna et Cronstadt, sans parler des ouvrages défensifs de la Finlande. Nous ne citons d’ailleurs que les principaux chaînons de cette ligne de forteresses, armure de la Russie, forgée surtout depuis la guerre de 1855 et fermée aux deux extrémités par des ports où se trouve en parfaite sûreté la nouvelle flotte. L’armée de terre et l’armée de mer se complètent l’une par l’autre, car la marine