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avantages réciproques, et même un, projet de mariage du prince Napoléon avec une fille du roi Victor-Emmanuel. C’était un ami de l’Italie et des ministres piémontais qui parlait en homme prévenant de la possibilité d’une négociation décisive.

Ceci devenait plus grave ; le président du conseil soumettait tout au roi. La première question était de savoir ce qu’il y avait de sérieux dans cette lettre, et Cavour se décidait à expédier à Paris un jeune homme, M. Constantin Nigra, qu’il associait depuis quelques années à ses travaux les plus intimes, qu’il savait déjà capable de remplir les missions les plus délicates. Bientôt on apprenait, à n’en pouvoir douter, par un confident attitré des Tuileries, — le même qui avait remis les papiers d’Orsini, — que la lettre reçue à Turin, sans avoir été précisément inspirée, répondait en effet à la pensée impériale. Napoléon III se montrait disposé à faire quelque chose ; mais rien n’était possible que par une entrevue qu’il y avait à préparer de manière à détourner l’attention et les soupçons. Le docteur Conneau, sous prétexte d’un voyage de plaisir en Italie, allait passer par Turin, — où il se trouvait effectivement au mois de juin ; il voyait le roi, le président du conseil, et c’est là qu’était convenue une excursion sans éclat du comte de Cavour à la station thermale de Plombières, où l’empereur devait prochainement se rendre.

Au moment où se préparait cette entrevue destinée à devenir le préliminaire obscur de si étranges et si prodigieux événemens, Cavour sortait d’une longue session qui ne lui créait plus de difficultés, mais qui lui laissait la fatigue de ce rude hiver de 1858. Luttes diplomatiques, luttes parlementaires, il avait eu à subir toutes les épreuves, il avait tout surmonté avec autant d’énergie que de souplesse. Il commençait à voir peut-être au bout ce qui pouvait lui rendre toute sa vigueur et le payer de toutes ses peines ; il se gardait bien d’en dire un mot, il ne parlait que de sa fatigue, du besoin de repos ; il aspirait à tout oublier pour quelques jours, on pouvait l’en croire, — et c’est le 7 juillet, à la veille de son voyage à Plombières, qu’il écrivait à son amie, Mme de Circourt, de ce ton charmant d’un politique dégoûté ou d’un diplomate en vacances qui a l’air de ne penser à rien : « Si j’étais libre de diriger mes pas selon mes sentimens et mes désirs, certes je profiterais de mes vacances pour aller vous demander à Bougival l’hospitalité ; mais, attelé au char de la politique, je ne peux dévier de certains sentiers… Si j’allais en France en ce moment, où les diplomates se débattent vainement pour trouver une solution à un problème qu’ils ont rendu insoluble, mon voyage donnerait lieu à toute sorte de commentaires… Une fois la session close, j’irai en Suisse respirer l’air frais des montagnes, loin des hommes qui ne pensent qu’à la