Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un ministère tory : à Turin, le ministre de France, le prince de Latour d’Auvergne, était chargé par le comte Walewski de demander au gouvernement piémontais un certain nombre de mesures de circonstance : la suppression de l’Italia e popolo, l’organe de Mazzini, — l’éloignement des réfugiés dangereux, une nouvelle loi sur la presse, l’interdiction aux émigrés d’écrire dans les journaux, etc. A vrai dire, sous une forme amicale et courtoise, c’était une sorte de sommation.

Cavour, qui était préparé à tout, voulait bien satisfaire autant que possible le gouvernement français par des sévérités de surveillance, par une réforme modérée de la loi de la presse ; il se refusait sans hésiter à des procédés d’arbitraire, à des suppressions de journaux qui seraient des coups d’état. Il résistait surtout à ce qui prenait trop visiblement le caractère d’une tentative de pression étrangère. Par prudence, pour ne rien envenimer, il évitait d’engager une controverse diplomatique ; il se bornait à répondre verbalement, opposant des protestations et des promesses dont le comte Walewski ne voulait pas se contenter, qui ne faisaient que provoquer des représentations plus vives, plus pressantes. L’empereur lui-même, à ces premiers momens, avait une singulière et significative conversation avec le général della Rocca, que le roi Victor-Emmanuel lui avait envoyé pour le complimenter à l’occasion de l’attentat et peut-être aussi pour l’apaiser, a Ne croyez pas, disait Napoléon III au général della Rocca et à M. de Villamarina, ne croyez pas que je veuille exercer une pression sur votre gouvernement. Dans les vicissitudes de ma vie, j’ai eu l’occasion d’apprendre à estimer la dignité gardée par de petits pays vis-à-vis des exigences de plus grands états ; mais les choses que je demande sont faciles et peuvent être faites par un gouvernement allié, même par un gouvernement qui n’aurait que le souci de la justice. Supposons que l’Angleterre ne fasse pas droit à mes légitimes réclamations, les relations entre les cabinets de Paris et de Londres se refroidiront bientôt, et de là à des hostilités il n’y a qu’un pas. Si cela arrivait, voyons franchement dans quelles conditions se trouverait la Sardaigne. Il y a deux hypothèses : elle serait pour moi ou contre moi ; mais vous ne devez pas vous faire illusion. La réalisation de vos espérances, votre avenir, sont dans l’alliance française, qui seule peut vous être un appui efficace. Eh bien ! pour être avec moi alors, il est indispensable que vous fassiez aujourd’hui ce que je vous demande. Si vous refusez, vous vous mettez contre moi, vous serez avec l’Angleterre ; qu’en retirerez-vous ?… Que vous feront quelques vaisseaux de guerre anglais à la Spezzia ou à Gênes, si l’Angleterre veut maintenir intacts les traités de 1815 ? Dans ce cas, bien malgré