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européen, pour l’opinion universelle, car, s’il s’étudiait à convaincre ou à ménager les gouvernemens, il voulait aussi, comme, il le disait, préparer les choses de telle façon, que le jour où le Piémont descendrait dans l’arène, il eût pour lui le souffle favorable de l’opinion européenne.

Le danger de cette politique, simple sans doute dans son principe comme dans son but, mais aux apparences compliquées, était de n’être pas toujours comprise, de dépendre d’une multitude de circonstances. Elle n’était qu’une grande promesse avant de devenir une réalité, et en attendant elle commençait par peser sur ce petit pays de Piémont, engagé dans ce qui pouvait encore passer pour une aventure. Les résultats pouvaient être lointains, ils restaient indéterminés ; les sacrifices étaient positifs, immédiats, et les partis extrêmes, également hostiles à la politique nouvelle qui régnait à Turin, étaient nécessairement toujours prêts à exploiter les contretemps, les incidens, les griefs plus ou moins spécieux. Les révolutionnaires irréconciliables, comme Mazzini, ne cessaient de s’agiter, essayant de ramener au combat toutes les passions de démagogie, à la fois excitées et évincées par le libéralisme national de Cavour. Les partis réactionnaires à leur tour exploitaient les menaces de révolution, les impôts, les emprunts, les entreprises démesurées, les souffrances des populations, qu’il s’attribuaient à un système de surexcitation permanente. Si peu que la direction manquât, l’opinion pouvait se laisser ébranler ou surprendre.

C’est précisément ce qui semblait arriver vers la fin de 1857, à ce moment où après l’échauffourée de Mazzini à Gênes, l’élection d’un nouveau parlement avait l’air de prendre tout à coup le caractère d’un commencement de réaction. La majorité libérale restait encore suffisante ; elle sortait néanmoins de la lutte moralement diminuée. Le ministre de l’intérieur Rattazzi, le ministre de l’instruction publique Lanza, ne passaient qu’à un second scrutin. Un des chefs de la droite extrême, le comte Solaro della Margherita, était quatre fois élu. Un certain nombre de chanoines, d’hommes connus pour leurs opinions réactionnaires, entraient dans le parlement. La Savoie s’était signalée en envoyant une députation presque toute entière cléricale. Que signifiait ce scrutin ? Il était dû sans doute à quelques circonstances particulières. Pour la première fois, les influences aristocratiques et religieuses avaient joué un rôle actif, poussé jusqu’à l’abus, dans les élections. Les libéraux s’étaient divisés, se fiant un peu trop à leur ascendant. Le ministre de l’intérieur avait été tout au moins malheureux, s’il n’avait pas manqué de prévoyance, dans l’affaire de la sédition de Gênes, comme dans la direction du mouvement électoral. — L’explication atténuait, sans