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Palmerston avait dit d’un ton railleur : « En vérité, je n’aurais pas cru que le comte de Cavour fût devenu Russe. » A quoi le comte de Cavour, informé du mot, avait répondu : « Dites à lord Palmerston que je suis assez libéral pour ne pas être Russe et que je le suis trop pour être Autrichien… »

Au moment le plus vif de la rupture diplomatique entre l’Autriche et le Piémont, au commencement de 1857, le ministre sarde à Londres, le marquis Emmanuel d’Azeglio, avait avec lord Palmerston une explication décisive. « Votre tort, disait lord Palmerston, est de croire que pour faire le bien de l’Italie, le meilleur moyen est d’être mal avec l’Autriche. Avec les moyens d’action dont cette puissance dispose, elle tournera contre vous les autres états italiens, et elle sera un adversaire irréconciliable de vos propositions de réformes. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux désarmer son opposition en lui enlevant toute raison plausible de combattre la politique du Piémont ? — Mais, milord, répliquait le marquis d’Azeglio, nous n’aurons jamais le concours de l’Autriche pour améliorer la situation de l’Italie. Elle a pour elle les gouvernemens, nous avons pour nous les populations. Elle dit aux premiers : Voulez-vous ma protection ? Je vous l’accorde ; n’oubliez pas que je représente l’absolutisme, le régime du sabre et l’intolérance catholique. Nous disons, nous, aux populations : Suivez-nous, nous avons le sang italien dans nos veines, nous tenons haut le drapeau de l’indépendance, de la tolérance religieuse, des institutions libres, du progrès moral et matériel. Il reste à savoir quelle est celle de ces deux politiques que l’Angleterre veut appuyer. » Lord Palmerston ne répondait pas, ou du moins il répondait en éludant la question, en laissant au Piémont la responsabilité de sa politique et « des conséquences bonnes ou mauvaises » qui pourraient en résulter.

A défaut de l’Angleterre, Cavour pouvait se promettre plus de succès auprès de la France. Chaque jour, il sentait plus vivement que de là devait venir le grand et décisif secours pour l’Italie. Ce n’était pas une pensée nouvelle chez Napoléon III. L’indépendance italienne avait été une des fascinations de jeunesse de l’insurgé de la Romagne en 1831, de celui que Pie IX appelait encore longtemps après, lorsqu’il était au faîte de la puissance, « le sectaire de Forli. » Le congrès de Paris n’avait fait que dévoiler des intentions ou des velléités que Cavour se hâtait de saisir, qu’il essayait de fixer, quoique ce fût difficile. Il est clair qu’à un certain moment entre Napoléon III et Cavour il y a eu une sorte d’intelligence mystérieuse, inavouée, qui n’est arrivée que par degrés à se préciser. On le sait aujourd’hui, c’est à l’instigation du souverain français, à la suite d’une conversation secrète de l’empereur avec M. de Villamarina à Compiègne, que le cabinet de Turin avait pris l’initiative de