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vrai dire, la seule tâche à laquelle ils ne failliront point une fois devenus hommes.

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que des conditions intérieures aussi pleines d’instabilité, des élémens de dissension aussi nombreux, après avoir créé un état de choses de tout temps précaire, aient eu pour dénoûment cette explosion insurrectionnelle du mois d’août dernier, et cependant un peu plus de sagesse dans l’administration des deniers publics, une répartition plus équitable, une certaine vigueur dans le gouvernement des provinces, appuyée, chez les caïmacans, sur une probité individuelle moins discutable, auraient assuré à ce régime un avenir dont personne ne pouvait mesurer le terme ; mais la crise financière a eu son dénoûment, et il n’a fallu rien moins qu’un événement aussi énorme au point de vue des intérêts engagés pour donner de l’importance à une insurrection qui, réduite à ses véritables proportions et prise au point de vue de sa force intrinsèque, n’était nullement faite pour inquiéter l’Europe ni même la Turquie. L’assassinat des consuls de France et d’Allemagne à Salonique n’aura fait que précipiter une solution qui n’est pas encore un dénoûment.

Mais on nous dira qu’au point de vue historique, si l’on veut remonter jusqu’à l’entrée des Serbes sur le territoire de Bosnie, le Serbe, pas plus que le Turc, n’a de droit absolu sur la terre qu’il occupe. Quand ils descendirent comme un flot sur ces régions du Balkan et qu’ils se fixèrent dans les provinces à l’époque de la chute de l’empire romain, se substituant alors aux peuples thraco-illyriens et aux Grecs, les Serbes avançaient dans leur unité de race et dans leur unité de religion, et ne portaient point en eux de germe de dissensions. Quand plus tard, au début du VIIe siècle, l’empereur Héraclius, se voyant sans cesse envahi par les Avares, appelle à lui les Croates et les Serbes, et leur concède des terres sur les bords de la Save et du Danube, il ne commet pas non plus la faute, en créant sur ces rives un rempart contre les Barbares, de le former de défenseurs de race différente. Les deux peuples ont la même origine et parlent la même langue, ils ont aussi la même foi. L’état serbe se fonde enfin, après de longs tâtonnemens ; il compte sept rois, deux tsars, Etienne Douchan le grand législateur, et, quand il tombe à Kossovó en 1389, c’est pour renaître avec Kara-George au commencement du XIXe siècle. D’ailleurs, même après Kossovó, la race serbe trouve encore un refuge inaccessible dans le Monténégro. En 1463, quand les ancêtres des raïas d’aujourd’hui ont été soumis aux Turcs, ils étaient tous chrétiens ; il fallait alors, conséquent avec l’esprit de conquête, étouffer le peuple tout entier qui occupait le territoire, le