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la fortune du raïa. Les droits et les avantages de ces dignitaires sont nombreux : chaque nouvel avènement, chaque investiture exige un déplacement de tout prêtre grec à la métropole, afin de recevoir du titulaire un nouveau diplôme qu’il paiera cher, et dont l’obtention entraînera de grandes dépenses. Le métropolitain de Séraïevo ne dit la messe gratuitement que trois fois par an, et tout est une source de revenus pour ces hauts membres du clergé. Aucun mariage ne peut être célébré sans une dispense que l’on achète, soit du patriarche, soit de l’évêque. La confession, l’absolution, la communion aux malades, le baptême, sont soumis à des droits dans le produit desquels l’évêque prélève sa quote-part. Parmi les nombreux privilèges que lui confère la dignité dont le synode du phanar l’a revêtu, il faut compter le droit à l’héritage des habits sacerdotaux, du cheval de selle et des livres de tout pope du diocèse.

Mais il faut dire que le chrétien orthodoxe donne toujours généreusement quand il s’agit de l’église, et l’on est étonné de voir les plus pauvres se dépouiller volontairement et laisser tomber leur aumône dans la bourse du quêteur. De plus le pope vit si étroitement avec le peuple de son rite, il est en communion si intime avec lui qu’il n’y a point lieu de s’étonner que ce soient surtout les prêtres grecs qui aient été les chefs du mouvement ; non-seulement ils en ont donné le signal, mais encore ils ont pris le fusil pour conduire leurs paroissiens au combat. Chez ces mêmes hommes l’idée de religion et celle de race ou de nationalité est tellement identique, que le mot Serbe est devenu synonyme du mot orthodoxe. Il n’en est pas ainsi chez les catholiques : l’idée de religion chez les prêtres de Bosnie prime l’idée de nationalité, et l’on a pu voir en cette dernière circonstance le clergé catholique de cette province, obéissant, dit-on, à des ordres venus de Rome, détourner autant qu’il l’a pu ses ouailles, d’entrer dans le mouvement. Les plus avancés se sont bornés à faire imprimer en un latin naïf des prières en faveur d’une intervention de la grande puissance catholique voisine, pour mettre un terme aux maux de l’oppression.

Quant à la persistance des divisions qui séparent non-seulement les deux religions, mais encore les deux rites, comment s’en étonner ? L’état ottoman se désintéresse absolument, et pour cause, de l’éducation du raïa, et, comme il laisse ce rôle civilisateur à l’église, il en résulte naturellement que le pope, s’il dispense l’instruction, prend pour base la dissension ou tout au moins la division entre les deux rites. Le résultat de ce système est évident et il est fatal : les enfans grecs chez l’higoumène, les catholiques chez le prêtre franciscain, les musulmans chez l’uléma, vont apprendre à se haïr, et c’est, à