Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/627

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

province de l’empire cette même loi dont avait déjà bénéficié l’ancien empire grec. Ce firman de 1463 est celui qui, plus pertinemment, a régi jusqu’aujourd’hui les sujets catholiques de Bosnie et d’Herzégovine. Voici la traduction littérale de ce curieux document, qui existe en original dans le couvent de Foitnitza, en Bosnie, où un de nos compatriotes, M. Sainte-Marie, a pu en prendre copie :


« Nous, sultan Méhémet-khan, à tous nobles et non nobles, faisons connaître : J’ai concédé ce firman aux prêtres franciscains de Bosnie et je le leur ai remis par un signe particulier de ma grâce. J’ordonne que personne n’apporte d’empêchemens ou d’entraves, soit à leurs églises, soit à eux-mêmes, et ne les moleste en rien, et je veux que dans tous mes états et mes possessions ils n’aient rien à craindre ou à redouter ; Ceux qui ont fui et qui sont revenus ne doivent pas être inquiétés : qu’ils soient exempts de poursuites dans mes provinces et qu’ils y puissent desservir leurs églises.

« Que personne, ni mes grands, ni mes vizirs, ni mes fidèles musulmans, ni mes sujets, ne s’ingère dans leurs affaires, ne les tourmente ou ne les afflige de sévices. Qu’ils jouissent d’une absolue liberté pour leurs âmes, leurs demeures, leurs églises, ainsi que les hommes et les étrangers venant les visiter dans mon empire. Pour confirmer cette grâce et cette protection très élevée accordée aux prêtres susdits, je leur remets cet ordre et je jure, par un serment très grave : au nom du Créateur du ciel et de la terre, au nom des sept livres saints, au nom de notre grand prophète, au nom des cent vingt-quatre mille prophètes, au nom du saint glaive dont je suis ceint. Que personne ne tourmente en quoi que ce soit lesdits prêtres, ne s’oppose à eux, autant qu’ils sont fidèles à ma personne et à mes représentans. »


Si l’on considère que ce document, adressé au père Angelo Svidovich, chef spirituel des franciscains, est daté 1463, on doit reconnaître qu’il est empreint d’un esprit de libéralisme qui fait contraste avec l’époque et avec le caractère légendaire d’intolérance qu’on a toujours prêté au commandeur des croyans. Ces franchises accordées aux représentans du culte catholique en Bosnie l’avaient été dix ans auparavant aux représentans du rite grec à Constantinople, et, depuis le premier jour de la conquête jusqu’à ces dernières années, elles furent solennellement renouvelées à chaque avènement d’un sultan.

On voit que, sans parler de ces concessions nouvelles octroyées à chaque avènement, si les rescrits impériaux avaient toujours été suivis au pied de la lettre, la condition des sujets chrétiens du sultan n’aurait rien eu à envier à celle des sujets dissidens des autres nations de l’Europe. Bénévoles d’abord et accordées conformément