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principe : une fois le tribut consenti et payé, le chrétien peut librement exercer son culte et vaquer à ses fonctions religieuses, — sous la réserve, bien entendu, de quelques restrictions dont nous tiendrons compte. Ce libéralisme, qui est fait pour étonner ceux qui ignorent l’esprit du Koran, a été mis en pratique il y a plus de douze siècles, lorsque les Arabes s’emparèrent de Jérusalem (637), et on verra en lisant le texte même de la capitulation d’Omar qu’il n’y a pas de différence essentielle entre les dispositions de la loi nouvelle très récemment octroyée, et cette première qui a servi de modèle à toutes les conventions postérieures entre les chrétiens soumis au joug turc et les musulmans vainqueurs.

« Les chrétiens, dit le texte de la capitulation, paieront une rente annuelle conformément à la loi du Koran. Ils ne pourront ni monter à cheval sur des selles, ni porter aucune espèce d’armes, ni faire usage de la langue arabe dans la devise de leurs cachets, ni vendre aucune sorte de vins. Ils seront obligés de porter les mêmes espèces d’habits en quelque lieu qu’ils aillent, et auront toujours des ceintures sur leurs vestes. Ils ne placeront pas de croix sur leurs églises et ne montreront point ouvertement dans les rues des musulmans les croix dont leurs livres sont remplis. Ils ne feront point retentir la ville du bruit de leurs cloches et n’en laisseront entendre qu’un coup pour annoncer la prière. »

S’il se conforme à ces prescriptions, le chrétien est libre d’agir à sa guise ; aujourd’hui de plus il jouit de l’égalité civile en théorie, il est théba, sujet de l’empire comme le musulman, quoique l’usage le désigne sous le nom de raïa, qui doit, nous l’avons dit, s’appliquer à tout le troupeau. « Travaille, paie, et prie comme tu voudras, » telle a été la devise des Arabes conquérans de Jérusalem, telle est encore aujourd’hui celle des musulmans qui gouvernent l’empire ottoman, et, pour montrer toute sa tolérance, une fois le tribut consenti et payé par le chrétien, la Porte, dans les villes de Smyrne et de Constantinople, fera même escorter la procession du saint-sacrement par ses propres soldats.

En 1453, quand les Turcs s’emparent de Constantinople, les chrétiens conservent leurs églises, le libre exercice de leur religion et le droit de s’administrer eux-mêmes. Sainte-Sophie, il est vrai, est transformée en mosquée ; mais les autres églises de Constantinople sont partagées par moitié entre les deux rites. Quant aux ministres du culte, ils échappent à tout impôt, et leurs propriétés elles-mêmes en sont exemptées. C’est l’esprit politique qui dicte au vainqueur ce rescrit impérial qui exonère tous les religieux chrétiens de la capitation en leur assurant le libre exercice de leur culte. Dix ans après, le lendemain de la conquête de la Bosnie, un firman connu sous le nom de hatnamé applique à la nouvelle