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concessions que voulait lui imposer la conférence de Londres. Il s’agissait de la délimitation du territoire au sud-est, c’est-à-dire du Limbourg et du Luxembourg ; la Belgique, après sa malheureuse campagne du mois d’août, devait perdre une partie de ce que lui accordaient sur ce point les dix-huit articles précédemment votés. Supposez qu’on ne pût s’entendre, que la Hollande prît les armes et que la France vînt secourir la Belgique malgré l’avis contraire des quatre puissances, c’était la guerre générale. Et à qui devait profiter cette guerre ? À la réaction dans toute l’Europe, par conséquent à la chute du ministère whig. Une note du journal de Stockmar nous apprend qu’un des amis du roi Charles X, M. le baron de Damas, assez mêlé dans ce temps-là aux affaires de Hollande, appelait impatiemment cette guerre européenne, espérant que la victoire des quatre puissances amènerait, avec la reconstitution du royaume des Pays-Bas, le retour des Bourbons de la branche aînée sur le trône de France. On voit quels intérêts se trouvaient en jeu. L’Angleterre, qui n’avait pas voulu, après 1815, entrer dans le système de la sainte-alliance, pouvait-elle s’y rattacher après 1830 et par les mains des whigs ? Évidemment non. De la part du ministère Grey, c’eût été un suicide. Seulement le chef du foreign office, préoccupé des projets qu’il attribuait à la France, était peu satisfait de la Belgique à cette date et ne dissimulait pas son mécontentement.

Il y avait là en effet deux directions d’idées fort distinctes : les deux principaux amis de la royauté belge, le roi Louis-Philippe et lord Palmerston, n’avaient pas le même programme. Louis-Philippe voulait loyalement une Belgique neutre et indépendante, rétablie comme une barrière morale entre la France et les puissances du nord ; lord Palmerston, qui voulait aussi une Belgique indépendante, craignait qu’elle ne subît notre influence au point de devenir en quelque sorte une province française. Comment donc se fait-il que ce même Palmerston, inquiet et mécontent de la France, ait persisté à désirer le mariage du roi Léopold avec une des filles de Louis-Philippe ? Qu’il ait eu cette pensée au mois de janvier 1831, rien de plus naturel ; pourquoi y revient-il plus sérieusement encore au mois de septembre, à l’heure où l’armée française occupe le territoire belge en libératrice ? C’est qu’il y avait alors dans les hautes fonctions du gouvernement français un homme rare, esprit original et puissant, à qui une longue pratique des plus grandes affaires avait donné l’audace de suivre sa politique personnelle au milieu des incertitudes de la question belge. Or cette politique était de telle nature que le meilleur moyen de la déjouer, au point de vue belge, comme au point de vue anglais, était de faire conclure au plus tôt l’alliance du roi Léopold avec une