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il lui laisse un extrait sous la forme d’une copie en langue turque. Le raïa, lui, voudrait que le fermier prît immédiatement livraison, mais celui-ci ne peut encombrer ses greniers et recevoir tout en même temps, car sa besogne est lourde et sa tournée dans le district sera longue encore ; il reviendra donc à l’automne, quand les blés sont en hausse et l’estime par conséquent supérieure comme valeur. C’est une seconde exaction, après la moins-value qui a été le résultat de la longue attente ; mais le colon va devenir la victime d’une exaction plus grande encore : prêt enfin à recevoir son dû, le fermier demande la feuille du contribuable, et sur cette même feuille où il a tracé des hiéroglyphes en langue turque, il a forcé le chiffre total de la récolte. Le raïa proteste, il avait bien en main le papier qui fait foi, mais à une lieue à la ronde personne n’entend le turc, et encore moins le sait lire. L’exaction cependant devient la loi ; il faut obéir ou recourir aux juges.

Le blé et le raisin sont perçus en nature ; pour les légumes, les fourrages, les fruits des arbres, les olives et le sumac, on exige que l’impôt qui les frappe soit payé en argent. Là l’estimation est laissée au soin du fermier, et il serait juste encore qu’on fixât un prix moyen pour couper court aux exigences basées sur la hausse éventuelle. Enfin l’une des manœuvres habituelles qui s’exercent au détriment du raïa, c’est de laisser les dîmes perçues dans les champs et, si quelque malfaiteur inconnu les a pillées sans scrupule, de rendre tout le village responsable du méfait.

On a déjà payé la dîme sur les céréales et sur les fruits, et parmi les fruits on a compté le raisin ; on va la payer à nouveau sur le vin. La famille cependant gardera pour sa consommation 200 mesures libres de tout impôt ; mais, au-dessus de cette quantité, chaque mesure devra 2 piastres au trésor. Le résidu lui-même qui produira l’esprit sera frappé à son tour, et la mesure d’eau-de-vie qui en sortira devra 5 piastres à l’état.

Pour le tabac, il faut faire la même remarque : comme produit du jardin, la plante a rapporté son décime ; comme produit industriel, en séchant et au moment où elle va être vendue, elle sera frappée d’un droit nouveau, taxe fixe de 8 piastres dont 5 sont payées par le consommateur et 3 par le propriétaire de la plante. Aussi, avant d’acheter, le négociant doit-il obtenir du sous-intendant l’autorisation de conclure son marché, et ce marché passé, il déclarera devant témoins la quantité pour laquelle il a traité. Les étrangers n’ont pas le droit de se rendre acquéreurs de tabac en gros chez le propriétaire qui cultive, et, pour bien constater que celui qui possédait chez lui un certain nombre de plants n’en a pas tiré profit sans en tenir compte à l’état, après la première tournée d’inspection du fermier viendront successivement cinq et six délégués,