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des capitaines et de leurs spahis une compensation supérieure, car à un moment donné, l’esprit qui animait ces musulmans farouches-protégeait la Porte contre ses éternels ennemis. De l’autre côté de la Unna et de la Save, derrière le Velebit et la Montagne-Noire, vivaient des populations chrétiennes contre lesquelles ce système féodal et cette puissance concentrée aux mains de renégats fanatiques étaient un puissant rempart. A la fin du siècle dernier, la Bosnie fût devenue autrichienne sans les capitaines et les spahis, et l’Herzégovine fût devenue pays monténégrin. Il y a quelques années à peine, quand, dans un noble élan qui sera l’éternel honneur de ce peuple, les Serbes de la principauté, accourus sous les drapeaux de Kara-George et de Milosch, réclamèrent leur indépendance, l’aristocratie bosniaque se déclara tout entière pour le sultan et sut garder ses frontières ; les seuls qui purent les franchir alors pour se grouper autour de George le Noir étaient des raïas de religion grecque, et ceux-là devaient faire cause commune avec une émancipation qu’ils ont toujours appelée de leurs vœux et qui reste leur suprême espérance.

Chez les begs d’aujourd’hui, propriétaires actuels du sol et successeurs des anciens capitaines et des spahis, l’esprit est bien resté le même, ces exemples de dévoûment à la Sublime-Porte, que nous avons cités, datent d’hier. L’insurrection qui dure encore apporte chaque jour de nouvelles preuves de la persistance de cette fidélité à l’égard de la Porte ; maison conçoit que de telles dispositions chez les sujets privilégiés d’un pays ne sont pas faites pour préparer la fusion nécessaire et pour abaisser les barrières entre deux classes de citoyens que l’Europe persiste à considérer comme devant jouir de droits égaux, car l’indignité qui, aux yeux du musulman, résulte de la foi professée par le giaour ou par le raïa devient au contraire un titre pour lui aux yeux des cabinets européens.

Les réformes consenties par la Porte en 1852 ne furent donc imposées en Bosnie que par la rigueur, et moins de quatre années après la promulgation elles étaient si bien devenues lettre morte, et les exactions des begs, les sévices des bachi-bozouks, la dureté des zaptiés chargés de faire rentrer les impôts en retard, étaient tels, que les populations chrétiennes se soulevèrent encore une fois. Luca Vukalovitch de Krouchévitza leva le premier l’étendard de la révolte (1856), et comme aujourd’hui la lutte s’engagea sur ce territoire de Sutorina, si propice à l’insurrection. Le Monténégro prit part à la guerre (26 février 1857) ; Ivo Radonich rallia les tribus chrétiennes de Krouchévitza, et les Turcs, repoussés dans l’intérieur, durent s’enfermer dans Trébigné. Jusqu’au 12 mai 1858, les chrétiens soutinrent la lutte, et la Porte, vaincue par le Monténégro, devenu le soutien principal de la rébellion, dut conclure une