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général de Failly, il ignorait encore au milieu de quelles trahisons se déployait son héroïsme[1].

N’importe, malgré le courage du roi, malgré l’ardeur des soldats, et quelle que fût la cause de la débandade de l’armée de la Meuse au 8 août, la Belgique vaincue ne pouvait retrouver la même faveur auprès de la conférence de Londres. Après cette malheureuse campagne de dix jours (4 août-14 août 1831), mise à deux doigts de sa perte, sauvée seulement par l’arrivée des Français, il fallait qu’elle expiât sa défaite. La conférence ne pouvait plus imposer à la Hollande les dix-huit articles qui avaient fixé les rapports des deux pays, tels qu’ils résultaient de la révolution de septembre. Ces rapports étaient changés. Vaincue en septembre 1830, la Hollande avait été victorieuse au mois d’août 1831 ; elle avait reculé, non devant le canon belge, mais devant les injonctions des deux grandes puissances en qui elle voulait toujours voir des puissances amies. Évidemment, les plénipotentiaires européens réunis à Londres devaient tenir compte à la Hollande et de sa victoire sur les Belges et de sa prompte déférence aux volontés de l’Europe.

C’est ici que se placent certaines notes du baron de Stockmar qui confirment, qui éclairent l’histoire de l’année 1831, et y ajoutent même, sur plusieurs points, des choses tout à fait inattendues. On ignorait par exemple, avant la publication de ce livre, que le roi Léopold, plutôt que de subir avec la Belgique l’espèce de déchéance résultant de sa défaite du mois d’août, avait conçu très sérieusement le projet d’abdiquer. L’historien national de la royauté belge, M. Théodore Juste, si riche en informations de tout genre, n’a pas eu connaissance de ce fait. Interrogeons les notes du baron.

Aux derniers jours du mois d’août 1831, Léopold avait prié Stockmar de se rendre à Londres et d’y examiner très attentivement la situation que faisait à la Belgique la déroute de Louvain. Que faut-il espérer ou craindre du ministère anglais ? Pourquoi

  1. Il ne tarda point à les connaître par les conseils de guerre de 1831, bien qu’un sentiment d’intérêt public et de pudeur nationale ait décidé le gouvernement à tenir secrets ces pénibles débats. Un vaillant homme de guerre, M. Eenens, général en retraite, ancien aide de camp de Léopold II, vient de recommencer cette enquête après quarante-cinq ans pour venger l’honneur de l’armée belge. L’ouvrage porte ce titre : Les Conspirations militaires de 1831, avec cette épigraphe : O patriœ dolor et dedecus ! (2 vol. in-8o ; Bruxelles 1875.) On comprendra sans peine que ces révélations inattendues aient produit en Belgique l’émotion la plus vive. Ce n’est pas à nous d’apprécier si l’auteur, comme le disent ses adversaires, les a publiées trop tôt ou trop tard, trop tard pour la justice, puisque les accusés ne sont plus de ce monde, trop tôt pour l’histoire, puisqu’elles atteignent les descendans immédiats dans leurs sentimens les plus respectables. Sans entrer dans ces controverses, nous ne pouvons nous abstenir de rendre hommage à la haute inspiration d’honneur et de patriotisme qui a guidé les recherches du général Eenens.