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des vainqueurs de l’Arménie, suzerains infidèles du roi chrétien : le sultan, le magnifique, ressource de la religion, Kaikobad, fils de Kaikosrou, ou bien encore : le sultan suprême, ressource du monde et de la religion.

Les bizarres monnaies dites bilingues ne sont pas rares au moyen âge ; souvent elles consacrent la suzeraineté d’un prince ou d’un pays sur un autre, mais souvent aussi elles n’ont d’autre origine que la nécessité de faciliter les transactions de deux nations de langue différente en rapports fréquens de trafic et d’affaires. Ce monnayage singulier fut adopté par les musulmans et les chrétiens sur tous les points où les deux races, mises en contact forcé par un long voisinage, étaient entrées dans la voie des relations pacifiques. On connaît des monnaies bilingues frappées par les rois de Castille pour les rapports de leurs sujets avec les envahisseurs musulmans établis en Espagne ; on en connaît par contre qui furent frappées par les Maures de Tanger pour les anciennes populations chrétiennes qu’ils avaient subjuguées. Il y eut même des monnaies trilingues, et un des exemples les plus connus de ces concessions faites aux populations vaincues nous est fourni par les princes normands conquérans de Sicile ; leurs monnaies, frappées avec des légendes grecques « et. arabes sur une face, latines sur la face opposée, portent des symboles chrétiens mêlés, à des versets du Koran.

Parmi les plus singulières monnaies de ce genre, il faut citer encore celles qui furent fabriquées en Orient par les Génois dans leur lointaine colonie de Gaffa, en Crimée ; elles portent d’un côté des légendes latines, et de l’autre une inscription tartare en caractères arabes. L’antique Théodosie, qui fut longtemps le point commercial le plus important de toute la rive septentrionale de la Mer-Noire, avait été, à une époque fort reculée déjà, visitée par les Génois. Le premier signe certain de l’existence d’une colonie puissante en ce lieu nous est fourni par un document de 1289, dans lequel les Génois de Théodosie ou de Caffa décident d’envoyer trois navires au secours de Tripoli, le principal comptoir de Gênes en Syrie, alors assiégée par le sultan Kélaoun. Les progrès de la jeune cité criméenne avaient été extraordinairement rapides, mais aucun événement ne lui avait été plus favorable que le retour à Constantinople des empereurs grecs en 1261, et le triomphe de ce Michel Paléologue dont les Génois s’étaient montrés en toute occasion les fidèles alliés. Caffa devint la métropole de la Mer-Noire. Tout le sud de la Crimée, l’ancienne Gothie, dont la fertilité était extrême, fut le territoire de la grande cité commerçante qui approvisionnait de blé et de poisson salé Byzance et la majeure partie de l’empire grec. En communication constante avec les vastes plaines du sud de la Russie par les grands fleuves de cette région, reliée à l’embouchure du