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froides, trop métalliques, on n’en voit guère de cette espèce à Paris. En revanche, il n’a pas échappé à M. Loir que la pluie y est moins sotte, moins maussade qu’ailleurs ; sa Porte des Ternes est un joli paysage crotté jusqu’à la cheville, où l’on prend plaisir à se promener, tout en s’appliquant à ne pas glisser sur l’asphalte luisant ; la calotte noirâtre du ciel se fendille, il va sourire. Il pleut aussi dans le tableau si finement touché et si harmonieux de M. de Nittis, qui représente la place des Pyramides ; mais la place nous intéresse moins que les passans, et les passans moins que les passantes. Regardez cette blanchisseuse, qui porte un panier de linge à son bras ! Personne ne peut se vanter d’avoir étudié plus profondément que ce Napolitain la Parisienne de tout étage ; il la possède sur le bout du doigt, il sait comment elle se tient, comment elle marche, comment elle retrousse sa jupe, comment elle porte sa tête, comment elle la tourne et de quel air elle regarde son prochain ; il a deviné tous les secrets de sa toilette, il a la science des dessous comme du dessus. Si par quelque affreuse catastrophe la Parisienne venait à disparaître de ce-monde, les tableaux de M. de Nittis deviendraient des documens d’un prix inestimable.

Comme les paysages de rues et les vues de boulevards, l’article-Paris, dont c’est le lieu de parler, abonde toujours au Salon, et ce n’est pas la marchandise la moins fêtée. A vrai dire, il ne vaut que par la façon ; mais la façon n’a jamais été méprisable en matière d’art, et il ne faut pas faire fi d’un bibelot quand il est fabriqué de main d’ouvrier. Prenez une jolie petite femme, habillez-la d’une robe de satin rose, asseyez-la sur un canapé, faites-lui tourner la tête vers un diplomate cravaté de blanc, qui se tient debout derrière elle, qu’elle ait aux lèvres un sourire agaçant et moqueur ; vous aurez fait un tableautin que vous appellerez Flirtation et qui sera charmant, si M. Toulmouche consent à vous prêter la délicatesse et la légèreté de son pinceau. N’oubliez pas de donner à votre diplomate un air d’émotion contenue ; bien qu’il n’en soit pas à ses premières armes, il est inquiet, mais il s’en cache. Les femmes vêtues de satin rose ne savent pas à quel point l’homme est un animal timide et les peurs mortelles qu’elles lui font, même au plus aguerri. — Prenez une autre femme non moins jolie ; pour changer, habillez-la de satin blanc, asseyez-la dans un fauteuil, devant une toilette, mettez-lui dans les mains un billet qu’elle vient de recevoir et qui l’intéresse ; que sa soubrette, occupée à la coiffer, coule sur la lettre un regard curieux et effronté. Vous aurez fait votre Soubrette indiscrète, qui fera plaisir à regarder, si vous avez à votre disposition la touche fine et précieuse de M. Saintin. — Prenez beaucoup de jolies femmes habillées de blanc, de lilas ou de bleu, et beaucoup de messieurs en frac, dispersez-les dans un grand pré