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montre un saule et un bouleau qui n’ont pas encore leurs feuilles et un arbre fruitier qui a déjà ses fleurs ; le fond est enveloppé dans une vapeur argentine et printanière. Ces deux tableaux sont deux impressions sincères et bien rendues. Et n’est-ce pas aussi une impression sincère et admirablement rendue que les Fleurs de mai de M.Gustave Jundt ? Une pièce d’eau entourée d’arbres ; entre l’eau et les arbres, un gazon déjà haut sur pied, touffu, herbu, très fleuri ; au milieu de ce gazon une femme assise, et c’est tout. Il n’est pas besoin de vous dire que cette femme est une Alsacienne et qu’elle est fort gracieuse ; la tête penchée, elle arrange un bouquet et pense à autre chose. Nous aussi, nous regardons le bouquet en pensant à autre chose, et nous avons peine à nous en aller. Nous sommes retenus par un charme dont nous ne pouvons nous défendre, et voilà précisément ce que voulait le peintre.

L’intransigeance elle-même est entrée fièrement au Salon par la grande porte. elle y est représentée par deux artistes qui ne sont pas des hommes ordinaires. Ils possèdent l’un et l’autre assez de talent pour se permettre d’avoir des convictions. Comme les héros du théâtre espagnol, chacun d’eux dit au public : — « Je suis celui que je suis ; je ne transigerai ni avec vos plaisirs, ni avec vos déplaisirs, ni avec vos critiques, ni avec vos étonnemens. J’ai mon idée, je n’en changerai pas pour vous être agréable. Si vous me comprenez, tant mieux ; si vous ne me comprenez pas, à votre aise. »

Le premier de ces intransigeans est M. Puvis de Chavannes ; nous ne nous flattons pas de le comprendre tout à fait ; peut-être, la grâce aidant, y parviendrons-nous un jour. M. Puvis de Chavannes est un des artistes qui ont été choisis pour décorer de peintures les froides murailles du Panthéon, qu’on aura de la peine à réchauffer. Son travail est déjà fort avancé, et nous sommes à même de nous en faire une idée à peu près complète en examinant le panneau peint qu’il a exposé, ainsi que le vaste carton, d’un grand caractère et savamment dessiné, qui lui fait face. Le monde qu’habite de préférence l’imagination de M. Puvis de Chavannes est un monde primitif, très sérieux, très innocent, presque antédiluvien, où personne ne se permettait de rire, ni même de sourire ; Eve n’avait pas encore mordu à la pomme. Nous voyons dans le panneau peint une petite fille maigre, pâle et chétive, agenouillée au pied d’un arbre. « Dès son âge le plus tendre, sainte Geneviève donna les marques d’une piété ardente ; sans cesse en prière, elle était un « sujet de surprise et d’admiration pour tous ceux qui la voyaient. » Elle prie en effet avec tant de ferveur qu’un laboureur et sa femme en sont frappés d’étonnement. La scène est aussi simple que possible, c’est une sorte d’idylle chrétienne. Plein de son sujet, l’artiste a évité soigneusement de mettre dans sa composition quoi que