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buissons, ces grands arbres qui ont perdu leurs feuilles, ce terrain raboteux, formé de détritus végétaux et d’une poussière de plantes qu’il a mangées après les avoir nourries, ce ciel d’un jaune vert, qui apparaît derrière les branches dénudées et que traverse en biais une longue traînée blanchâtre, surmontée de nuages violets, tous les détails de ce tableau ont été étudiés et pris sur le fait ; mais l’artiste a mis son étude et sa science au service d’un sentiment. Il a voulu rendre l’ineffable magie de certaines soirées et nous faire voir les tours de sorcier auxquels s’amuse un beau ciel. Le soleil a disparu ; mais, par la puissance de ses reflets, un coin de forêt sombre et dépouillé revêt un éclat prestigieux ; il s’habille de soie, de satin et de pourpre. Le bûcheron qui coupe son bois ne s’en aperçoit pas ; le spectacle n’est pas pour lui, il est pour nous. Quand on a contemplé quelque temps le paysage de M. Pelouse, il semble qu’on vienne d’assister à une fête.

Rangeons aussi parmi les impressionnistes convaincus et savans M. Jules Masure, dont les deux marines méritent les plus grands éloges. M. Masure n’est pas seulement un peintre d’une rare habileté de main, il est de la race des amoureux et il passe sa vie à chanter ses amours. Il adore la mer, il en raffole ; il emploie des saisons entières à causer avec elle, à surprendre ses secrets, à l’étudier dans sa sérénité, dans ses gaîtés, dans ses joies, dans ses mélancolies, dans ses caprices, plus rarement dans ses colères. Les mœurs et les habitudes que peut avoir une vague, il les connaît aussi bien que M. Eugène Lambert connaît les habitudes et les mœurs des chats. Il sait comment elle s’y prend pour s’enfler, pour s’infléchir, pour se creuser, pour se briser, et tout ce qui se passe entre elle et le soleil à toutes les heures du jour. Le reste l’intéresse médiocrement, il ne donne rien à la curiosité. Il y a dans ses tableaux un peu de terre, parce qu’il en faut, un bout de grève ou de plage rocheuse, une barque, un ou deux bonshommes, quelque voile à l’horizon ; ce ne sont là que des accessoires qu’il traite avec une extrême sobriété, ils pourraient nuire à son effet, et les amoureux n’ont qu’une idée. Dans l’une des admirables marines qu’il a exposées, nous voyons une vague qui danse au soleil ; dans la seconde, nous retrouvons la même vague qui danse encore aux feux du soleil couchant, dont elle brise et éparpille les reflets ; mais on sent bien qu’elle est lasse de sa journée, elle n’y va plus de franc jeu, elle ne tardera pas à s’endormir.

Citons encore, sans quitter notre sujet, deux petites toiles d’un Napolitain, M. Rossano, que nous soupçonnons d’avoir grandi à l’école de M. de Nittis. L’une représente une route bordée de platanes et merveilleusement ensoleillée ; on y entend, pour ainsi dire, chanter la lumière. L’autre, intitulée les Premiers bourgeons, nous