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Musset, comment se peut-il qu’on l’ait jugé indigne d’être condamné par le public ? Est-ce donc la contagion qu’on a repoussée dans cette toile ? Est-elle peinte avec de l’aconit ? Il semble que tant de sévérité n’est juste qu’autant qu’elle est impartiale ; comment croire qu’elle le soit lorsqu’on voit de combien de croûtes le Salon est rempli ? » Ces mots de l’auteur des Nuits devraient faire réfléchir les esprits chagrins qui se lamentent sur la décadence de l’art. Il y avait beaucoup de croûtes dans le Salon de 1836, on y trouvait même « les plus affreux barbouillages. » Eh ! sans contredit, les croûtes ne manquent pas dans le Salon de 1876. Il abonde aussi en œuvres médiocres, ou banales, ou froidement académiques, ou sottement prétentieuses, ou effrontément tapageuses ; ajoutez-y les morceaux à effet, les tableaux et les tableautins qui n’ont pour eux que le ragoût, d’autres encore où un talent véritable est gâté par le charlatanisme et qui auraient fait les délices de ce bon monsieur Turcaret, puisque « une belle voix, soutenue d’une trompette, le jetait dans une douce rêverie. » Laissons les mélancoliques grogner dans leur coin. Quand l’ange Ituriel hésitait s’il détruirait Persépolis, Babouc lui présenta une petite statue composée des pierres les plus précieuses et les plus viles, et il lui dit : « Casserez-vous cette jolie statue parce que tout n’y est pas or et diamans ? » Ne supprimons pas les expositions annuelles, et laissons subsister Persépolis, dussent les prophètes et les critiques d’art s’en fâcher, comme Jonas se fâcha de ce qu’on ne détruisait pas Ninive. Leur mauvaise humeur est moins excusable que la sienne, ils n’ont pas été comme lui trois jours dans le corps d’une baleine.

Les jurés n’ont pas la vie commode ; ils s’appliquent à faire de leur mieux, et personne n’est content. Les uns regrettent que le jury d’admission ait été trop indulgent et trop facile ; d’autres, qui ont de bonnes raisons pour cela, lui reprochent l’étroitesse de ses préjugés, la férocité de ses condamnations : ils lui en veulent d’avoir fermé la porte du Salon à la jeune école, à l’école de l’avenir, aux francs-tireurs, aux garibaldiens de la peinture, à ceux qui s’appellent eux-mêmes les intransigeans ou les impressionnistes. Cette école est plus qu’une école, c’est une secte qui aspire à fonder une nouvelle religion. Elle n’a pas encore de temples, et l’état ne se charge pas des frais du culte ; mais elle avait ouvert récemment à la rue Le Peletier une chapelle où les profanes étaient admis. Ce qu’on y voyait était fort étrange, et les gens qui en sortaient avaient l’air fort étonné ; quelques-uns avaient besoin de faire deux ou trois tours sur le boulevard pour reprendre leurs esprits.

Qu’est-ce qu’un impressionniste ? C’est un homme qui se fait fort de procurer à son prochain des impressions, bonnes ou mauvaises,