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entre ses lieutenant toutes les batailles qu’il a gagnées, en ne lui laissant que la part des fautes et des défaites. Il partageait sa vie entre le séjour de la Provence, au climat réparateur de laquelle il ne demandait plus grâce comme au temps de sa maturité, et Paris, où il demeurait depuis plusieurs années dans le quartier désert et silencieux de l’Observatoire. Ceux qui l’ont fréquenté dans cette retraite modeste et honorable se louent de l’aménité de ses rapports et du charme de sa conversation. « Je le vois encore, dit avec émotion M. Monod, assis dans son fauteuil à sa réception du soir, la taille serrée dans une redingote sur laquelle on n’aurait pu trouver une tache ni un grain de poussière ; son pantalon à sous-pieds bien tiré sur ses souliers vernis, tenant un mouchoir blanc dans la main qu’il avait délicate, nerveuse et soignée comme une femme, la tête encadrée dans ses cheveux blancs, longs, légers et soyeux. » Je regrette que les écrits de Michelet ne nous le fassent pas toujours apercevoir sous cet aspect digne et paisible ; mais c’est un devoir pour celui qui a dû se montrer sévère pour certains défauts de l’historien, de rendre l’hommage qui est dû à la délicatesse de l’homme.

Durant ces années d’une lente vieillesse, Michelet se livra-t-il sans partage aux seules préoccupations de l’écrivain, à ce qu’il appelait « l’instinct de chasseur historique ? » Plus proche de l’étroit passage, entraîné par un courant plus rapide vers cette terre inconnue où nous naviguons tous, son œil inquiet chercha-t-il à discerner avec plus de clarté les plages auxquelles il allait aborder ? Dans ces temps d’incertitude où le plus croyant doute de ses croyances et le plus sceptique de ses doutes, on ne saurait se défendre de demander avec une curiosité anxieuse aux grandes intelligences comment elles ont compris et résolu les problèmes religieux qui nous divisent ; comme si le nombre et le poids des témoignages apportait quelque argument nouveau à l’encontre ou en faveur des doctrines qui nous tiennent au cœur. C’est même la tendance ordinaire des partis de forcer la réponse dans un sens ou dans l’autre, et de prêter aux morts des convictions qui dépassent la mesure de leurs sentimens véritables. Je crois qu’on a commis une erreur de ce genre lorsque on a dit que Michelet, au début de sa vie, était catholique. Il serait plus exact de dire qu’il était favorable au catholicisme ; mais jamais, sauf pendant une courte période qui suivit son baptême, les prescriptions de la foi catholique n’ont été la règle de sa vie. Lorsqu’il embrassait de bon cœur la croix de bois qui s’élève au milieu du Colisée, lorsqu’il s’écriait avec émotion : « Je vous en prie, oh ! dites-le-moi, si vous le savez, s’est-il élevé un autre autel ? » il n’était cependant pas de ceux que la croyance en un auguste mystère conduit obéissans au pied de cet