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hélas ! non moins inutiles que ses vœux de février. Il n’assista pas à l’effroyable série de nos malheurs. L’état débile de sa santé, et peut-être aussi l’extrême vivacité de ses impressions, ne le lui permirent pas. Il quitta Paris avant même que le siège ne fût certain, « lorsque, dit-il, l’impératrice, loin de songer à la défense, laissait entrer dans cette ville de deux millions d’âmes tout un monde de bouches inutiles, quatre ou cinq cent mille paysans. » Il quitta même la France, et ce fut à Lausanne qu’il apprit la chute de l’empire. Il put, pendant son court séjour dans cette ville, se croiser avec son illustre ami, son contemporain, l’ancien compagnon de ses luttes, Edgar Quinet, qui, de son exil de Veytaux, s’élança dès que les frontières de la France lui furent rouvertes, pour venir s’enfermer dans Paris. Il dut en « coûter à Michelet de ne pouvoir suivre son exemple, et, lorsque le sol national tremblait sous les pas des bataillons prussiens, de ne pas même ressentir le contre-coup de ces secousses. Force lui fut d’aller chercher le repos du corps jusque sous le ciel de Pise. Sa pensée était du moins tout entière aux phases de la lutte terrible qui se poursuivait en France, et la prolongation de cette lutte inspira à son patriotisme mêlé d, orgueil l’espérance chimérique que son intervention lointaine pourrait être utile : « Dans cet effroyable silence, moi seul en Europe je parlai. Mon livre, que je lis en quarante jours, fut la première et longtemps la défense unique de la patrie. Il rompit l’unanimité de malveillance que l’or de M. de Bismarck avait facilement obtenue. La conscience publique fut avertie de la Tamise au Danube. J’intitulai ce cri du cœur : la France devant l’Europe, lui donnant pour épigraphe ce grave avis d’avenir : « les juges seront jugés. »

Moins solitaire fut la voix, moins grand l’effet que Michelet ne paraît se l’être imaginé. Sachons-lui gré cependant de cet élan de patriotisme, qu’il a rappelé dans la préface de son Histoire du dix-neuvième siècle. Sachons-lui gré aussi de l’émotion qui, à la nouvelle de la capitulation de Paris, le fit succomber à l’atteinte d’une attaque d’apoplexie dont il ne s’est jamais relevé. Il rentra en France pour assister, heureusement pour lui de loin, aux luttes de la commune, durant lesquelles sa maison faillit être incendiée. Lorsque l’ordre fut rétabli, il sollicita d’être réintégré dans sa chaire du Collège de France comme l’avait été Edgar Quinet. Cette réintégration lui fut refusée, sa chaire étant régulièrement occupée, mais, de ce refus, il paraît cependant avoir conservé une certaine aigreur. Il employa les restes d’une ardeur épuisée à écrire les trois premiers volumes d’une Histoire du dix-neuvième siècle, qu’il conduisit jusqu’à Waterloo et qui a été publiée après sa mort : œuvre sans valeur où il n’a qu’une pensée, disputer sa gloire à Napoléon, et répartir