Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivain, quel artiste même, a mieux compris que Michelet le génie de Jean Goujon, « ce magicien dont la main ravissante donnait aux pierres la grâce ondoyante, le souffle de la France, qui sut faire couler le marbre comme nos eaux indécises, lui donner le balancement des grandes herbes éphémères et des flottantes moissons… Où a-t-il pris ces corps charmans, si peu proportionnés, nymphes étranges, improbables, infiniment longues et flexibles ? Sont-ce les peupliers de Fontaine-Belle-Eau, les joncs de ses ruisseaux ou les vignes de Thomery dans leurs capricieux rameaux qui ont revêtu la figure humaine ? Les rêves de la forêt, les songes d’une nuit d’été, qui ne se laissaient apercevoir que dans le sommeil pour être regrettés au matin, ont été saisis au passage par cette main vive et délicate. Les voilà, ces nymphes charmantes, captives, fixées par l’art ; elles ne s’envoleront plus. » Ces pages brillantes, d’un goût moins pur peut-être que telle autre déjà citée par moi des premiers volumes, n’en sont pas moins faites pour consoler de bien des divagations. Celui qui les a écrites n’avait pas encore perdu la magie de son pinceau.

C’est à mesure qu’il avancera dans l’histoire de ce que Michelet appelle dédaigneusement les siècles monarchiques, que notre étudiant sentira croître sa surprise, et, s’il est doué de quelque jugement, sa méfiance. Un détail ne contribuera pas à le rassurer : les notes et éclaircissemens qui au début formaient près de la moitié de chaque volume et contenaient des pièces infiniment curieuses, deviennent de plus en plus rares, et le plus souvent n’éclaircissent rien du tout. A la fin, ces annexes sont tout à fait supprimées, et il n’y a là rien d’étonnant. Sur quelles pièces justificatives Michelet pourrait-il appuyer, par exemple, ces découvertes si singulières et dont il communique les résultats avec tant d’assurance sur les irrégularités qui se seraient glissées dans la généalogie des rois de France ? « Comment faites-vous donc, monsieur, pour être si sûr de ces choses-là ? » serait-on tenté de lui dire en retournant le mot célèbre de Mme de Lassay à son mari. Comment prouver, à l’aide de documens authentiques, l’immense révolution qui se serait opérée dans les destinées de la France si, au moment où Mlle de Hautefort cacha dans son sein un billet dont Louis XIII voulait s’emparer, le roi n’avait trouvé sous sa main des pinces d’argent pour le lui ravir ? « nulle alliance avec Gustave-Adolphe, chute et procès de Richelieu, victoire complète de l’Espagne et du pape. » On est reconnaissant du reste à Michelet de ne pas multiplier les citations, quand on sait quel sont les recueils qu’il se plaît à consulter le plus souvent : le Journal des Digestions de Louis XIII, par Hérouard, et les Annales des trois médecins de Louis XIV : Vallot, Dacquin et Fagon.