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convient-il de donner la préférence ? Quelle est celle dont il faudrait conseiller la lecture à quelque jeune et studieux étranger, par exemple à quelque undergraduate d’Oxford ou de Cambridge qui voudrait compléter les notions très insuffisantes d’histoire étrangère qu’on donne dans les universités anglaisés ? Laissé à lui-même, il est probable qu’il se sentirait un peu effrayé par l’aspect compacte des volumes de M. Henri Martin, et que, séduit par la réputation de Michelet, dont le nom serait probablement parvenu à ses oreilles, il choisirait celle de notre auteur. Il lirait assurément avec beaucoup de plaisir, et non sans profit, les six premiers volumes. Il serait bien un peu étonné d’apprendre le peu d’importance réelle qu’il convient d’attacher à certains faits consignés cependant dans les précis les plus sommaires : la bataille de Poitiers, par exemple, qui se borne « à une simple rencontre entre les rapides cavaliers de l’Afrique et les lourds bataillons des Francs » ou bien la bataille de Bouvines, « qui ne fut pas une action fort considérable. » Il aurait peine aussi à se convaincre que Charlemagne, cette grande figure qui a occupé si longtemps l’imagination du moyen âge, « ne fut qu’un homme heureux auquel une chose surtout a profité, la longueur de son règne. » Tout bien pesé cependant, il recueillerait de ces premiers siècles de notre histoire une impression juste, quoique confuse. Il apprendrait surtout de Michelet l’amour de ces temps passés, le respect de leurs saints et de leurs soldats, l’admiration pour les créations de leur art, et il s’écrierait volontiers avec lui : « Cette pureté, cette douceur d’âme, cette élévation merveilleuse où le moyen âge porta ses héros, qui nous les rendra ! »

Mais lorsque, suivant, non le plan bizarre de publication adopté par Michelet, mais la chronologie des faits, il arriverait à l’histoire de la renaissance, dans quelle surprise ne serait-il pas plongé ! Il lui faudrait brusquement apprendre à considérer le moyen âge comme une mer de sottise, « un état bizarre et monstrueux, prodigieusement artificiel, qui n’a d’argument en sa faveur que son extrême durée, sa résistance obstinée au retour de la nature. » Les cathédrales gothiques ne sont plus la cristallisation des larmes précieuses qui se sont amoncelées vers le ciel ; elles sont une végétation. La véritable création du moyen âge, c’est le peuple des sots, de ces mystiques raisonnables « qui donnaient l’étonnant spectacle de volatiles étendant par momens de petites ailes liées, bridées, les yeux bandés, sautant au ciel jusqu’à un pied de terre et retombant sur le nez, prenant incessamment l’essor pour rasseoir leur vol d’oisons dans la basse-cour orthodoxe et dans le fumier natal. » Vainement à côté de ces déclamations fougueuses, notre étudiant chercherait-il à ressaisir la chaîne du récit et à asseoir sur des faits