Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveau par les défauts de Michelet l’historien ? C’est qu’une admiration inconsciente de son propre mérite, tout en lui continuant ses services, a cessé d’exercer sur lui cette critique salutaire, c’est peut-être que le joueur de flûte a perdu le ton et qu’il a forcé sa note pour s’élever au diapason de celui qu’il aurait du ramener au contraire au sien.

Quelle est aussi la part de cette collaboration dans la série de certains petits livres, l’Amour, la Femme, qui n’ont pas fait moins de bruit que leurs aînés ? Dans les revendications judiciaires dont j’ai parlé, il n’en est point fait mention. Je comprends en effet qu’il fût délicat d’en traduire en chiffres la valeur. Nul doute cependant que l’inspiration de ces petits livres ne découle de la même source que l’Oiseau et l’Insecte : un retour aux sentimens naturels, une réaction contre la vie morale, factice et comprimée, dont l’historien avait vécu pendant la première moitié de sa vie ; mais c’est le propre des réactions d’entraîner parfois au-delà du but, et d’aveugler ceux qu’elles entraînent. Je me sens assez embarrassé pour parler de ces deux ouvrages. Je ne voudrais pas qu’on pût m’accuser d’entreprendre la réhabilitation de productions malsaines qui ont attiré sur la vieillesse de Michelet de justes sarcasmes. Il est difficile de se méprendre plus étrangement qu’il ne l’a fait sur la portée de ces publications. « Ces petits livres, a-t-il écrit, sortis du foyer même, ont été adoptés en France et ailleurs comme livres du dimanche, livres du soir et des après-soupers, donc au plus haut degré comme des livres d’éducation. » Je ne crois pas qu’il y ait de famille où l’Amour et la Femme servent à l’éducation des jeunes filles. En revanche, je ne serais pas étonné qu’il y ait telle bibliothèque secrète sur les planches de laquelle ces livres ne figurent en assez mauvaise compagnie. Aussi suis-je prêt à m’associer à toutes les sévérités des moralistes, à toutes les protestations des hommes de goût contre cette invasion désagréable de la physiologie dans le sentiment, et contre cette application nouvelle de l’Art de vérifier les dates, pour reproduire le mot d’un de nos plus spirituels critiques. Ces élucubrations de mauvais goût ont fait perdre à Michelet la considération que lui avait acquise toute une vie d’austères travaux, et je n’ai nulle envie de plaider en sa faveur les circonstances atténuantes. Je me permettrai cependant une question. Le public français, les lecteurs des huit éditions de l’Amour, des six éditions de la Femme, les critiques littéraires eux-mêmes ne sont-ils pas pour quelque chose dans le scandale ? Ne l’ont-ils pas amplifié par leur effarouchement un peu simulé, par la complaisance avec laquelle ils ont enrichi de leurs notes et commentaires quelques-unes des dissertations les plus scabreuses de l’auteur, par la