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JULES MICHELET
SA VIE ET SES OEUVRES


IV

Dans la préface de son Histoire, Michelet raconte qu’au moment où il venait de terminer le règne de Louis XI, il visita par hasard en grand détail la cathédrale de Reims. Après avoir fait le tour de la corniche intérieure, il ressortit au dehors sur les voûtes et arriva au dernier petit clocher. Là un spectacle étrange l’étonna fort. La tour avait à sa base une guirlande de suppliciés, les uns ayant la corde au cou, les autres le visage mutilé, et c’étaient tous des hommes du peuple. « Je ne comprendrai pas, s’écria-t-il, les siècles monarchiques, si d’abord, avant tout, je n’établis en moi l’âme et la foi du peuple. » Et il partit avec la résolution d’entreprendre l’histoire de la révolution française.

Ainsi c’est parce qu’un caprice d’architecte a donné pour soubassement à l’une des tours de la cathédrale de Reims une guirlande de suppliciés, que Michelet, au mépris de toutes les règles de la composition historique, franchit d’un bond trois siècles de l’histoire de France, et raconte la chute de la monarchie avant d’avoir raconté sa grandeur. On me permettra de ne pas tenir cette raison pour suffisante et de chercher la véritable, qui au reste n’est pas très difficile à deviner. Michelet obéissait encore une fois à cette préoccupation du sujet populaire qui lui avait fait autrefois renoncer à son histoire des empereurs romains pour entamer plus tôt l’Histoire de France, Le souffle des passions qui à la veille de la révolution de février agitaient les esprits n’était guère propice aux