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réformes. Or c’est ici que commence l’inconnu, un terrible inconnu peut-être, que cette question d’Orient réserve à toutes les politiques.

L’Angleterre n’est point sans s’occuper de cette crise orientale ; pour le moment, elle n’en a pas fini avec ce titre d’impératrice que la reine Victoria paraît avoir tant ambitionné, ou du moins cette singulière affaire semble se survivre à elle-même par une suite interminable d’incidens, La question a beau être tranchée par le vote du parlement, par la proclamation définitive qui a été faite, elle renaît chaque jour, elle reparaît comme un fantôme pour le ministère ; mais si l’on veut savoir comment procèdent les pays qui respectent leurs institutions, qui savent être libres sans être révolutionnaires, on n’a qu’à voir ce qui vient d’arriver à M. Lowe. C’est au moins curieux, ne fût-ce que comme expression des mœurs parlementaires de l’Angleterre. M. Lowe a été un des adversaires les plus vifs de cette invention du titre impérial ; il l’a combattue avec une impétuosité de raison et d’éloquence qui a plus d’une fois donné du souci à M. Disraeli. Jusque-là, rien de mieux. Malheureusement M. Lowe s’est laissé emporter ; lui qui a été ministre et qui le redeviendra sans nul doute, qui est encore membre du conseil privé, il s’est laissé aller à faire intervenir la personne royale, à dire dans un meeting que deux des précédens ministères avaient eu à décliner les sollicitations de la reine au sujet de ce terrible titre impérial. Cela fût-il vrai, c’était une indiscrétion compromettante, que M. Gladstone s’est hâté de désavouer, et M. Disraeli n’a pas manqué de saisir cette belle occasion d’écraser son adversaire, de le mettre dans la situation la plus fausse en démentant au nom de la reine elle-même tout ce qu’avait dit l’ancien chancelier de l’échiquier ; M. Disraeli a même traité tout cela de « commérage calomnieux. »

Que croyez-vous qu’eût fait un homme public dans un pays de mœurs révolutionnaires ? Il se serait probablement révolté, il aurait soutenu ce qu’il avait dit contre la souveraine elle-même, et il se serait créé sans doute une popularité équivoque aux dépens de l’institution royale. M. Lowe s’est bien gardé d’agir ainsi ; il n’a pas même voulu se borner à se taire, à courber silencieusement la tête. Il est allé devant le parlement se frapper la poitrine en signe de pénitence et déclarer qu’il avait eu tort d’avancer ce qu’il avait dit, qu’il le regrettait d’autant plus que la reine était la seule personne de son royaume qui, par sa position souveraine, ne pouvait se défendre elle-même. M. Lowe, sans croire en aucune façon s’abaisser, a tenu à confesser humblement qu’il avait commis une faute, et il a ajouté tout simplement : « Je rétracte donc absolument tout ce que j’ai dit, et si un pareil langage convient de la part d’un sujet envers une souveraine, j’offre humblement à sa majesté mes excuses pour l’erreur que j’ai commise. » On a cru ce qu’on a voulu, peut-être même y a, t-il des Anglais toujours persuadés que d’ancien chancelier de l’échiquier ne s’est pas trompé, importe, l’acte de