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d’un vote l’amnistie, sous quelque forme qu’elle se déguise, ou si l’on entrera dans une voie d’examen rétrospectif qui conduirait fatalement la chambre au désaveu ou à la révision de l’œuvre judiciaire de 1871. Il ne peut, il ne doit y avoir ni équivoque, ni demi-solution. Ce qui ne serait pas le rejet pur et simple fondé sur la nature même de ces lugubres événemens de 1871, équivaudrait à une sanction dérobée et honteuse. Ce serait sinon l’amnistie, du moins le commencement de l’amnistie ; l’effet serait absolument le même sur l’opinion, qui ne comprendrait pas toutes ces distinctions et ces indécisions, ou plutôt qui comprendrait qu’on a reculé devant un acte de fermeté nécessaire. Il ne faut donc pas qu’on se méprenne au moment où les chambres vont émettre un vote qui sera sans doute conforme à la raison, et qui n’aura d’autre inconvénient que de s’être trop fait attendre.

Cette amnistie qu’on a trop laissé traîner et peser sur l’opinion, elle n’est à vrai dire qu’une expression plus précise et plus criante de ce qui est justement un des dangers de la situation. Elle n’a de gravité que par la signification qu’elle prend fatalement, parce qu’elle est comme une première épreuve pour la majorité des chambres, parce qu’elle est pour la politique intérieure, pour la république constitutionnelle, une occasion de se fixer, de se caractériser, de se dégager de toutes les solidarités périlleuses. C’est après tout une condition d’autorité et même de durée pour le régime nouveau qui s’inaugure en France. On répète sans cesse, il est vrai, que la république est désormais définitive, qu’elle a été régulièrement votée par la dernière assemblée, souverainement sanctionnée par le suffrage universel. Une circulaire ministérielle récente, en rappelant aux fonctionnaires le devoir de faire respecter les institutions qu’ils servent a même qualifié de « factieuses » ; les espérances des partis qui rêvent encore un autre régime. Rien de mieux, si l’on veut. Un gouvernement ne peut pas se laisser mettre chaque jour en doute par les factions, pas plus qu’il ne peut accepter d’être servi avec tiédeur ou avec de secrets sentimens d’hostilité par les fonctionnaires associés à son œuvre. La confiance en lui-même est sa première vertu, et il est assez simple qu’il se considère comme définitif, surtout quand il a pour lui la loi, le vote du pays, une existence de cinq années, la force des choses. Soit ; mais on répétera toujours les mêmes banalités, on fera encore des circulaires, on ne sera pas plus avancé. La durée d’un régime dépend absolument du caractère rassurant et efficace de sa politique. La question est de savoir si cette république qu’on proclame définitive, qui peut l’être, si on le veut, sera conservatrice, libérale, conciliante, ouverte à tous, durable en un mot, ou si elle dérivera vers les agitations, les bouleversemens législatifs, les réformes aventureuses, les connivences révolutionnaires dont l’amnistie peut être considérée comme le prélude. C’est aux républicains de choisir, de ne laisser aucun doute sur le chemin qu’ils veulent suivre,