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mais aussi pourquoi le musicien s’est-il si bénévolement trompé de porte ? M. Sardou ne fut jamais un librettiste et n’entend rien aux choses de la musique. Quelle idée de supposer qu’il ira se mettre en frais de situations claires, nettes et définies, comme il en faut à l’Opéra, lui qui dans son théâtre n’a de complaisance que pour les accessoires et les minuties ! Chacun d’ailleurs connaît le zèle à retaper ses vieux manuscrits qui caractérise l’auteur des Pattes de mouche. C’est assez que les Près Saint-Gervais aient été représentés cent fois à Déjazet sous forme de vaudeville pour qu’il s’ingénie à les resservir en opérette au public des Variétés, et ce Piccolino, qui n’avait déjà point tant fait merveille au Gymnase, demeure à ses yeux un si précieux objet d’art qu’après en avoir donné jadis une seconde édition à Ventadour avec de la musique de Mme de Grandval, il sent aujourd’hui le besoin d’en apanager l’Opéra-Comique, en attendant sans doute de le porter à la Gaîté sous couleur de ballet-féerie. Et cela s’appelle aider à la fortune des jeunes compositeurs !

Je me demande ce que tel maître du genre, Hérold, Auber, pourrait bien tirer d’un pareil texte. Tout le monde connaît la Claudine de Florian, c’est la même anecdote sentimentale, enguirlandée et soutachée des mille et une fanfreluches d’une dramaturgie de pacotille. Claudine, à l’Opéra-Comique, se nomme Marthe, l’amant de cette espèce de Mignon bâtarde l’a quittée pour courir les aventures, et la voilà qui se met à le relancer par monts et par vaux, travestie en petit colporteur de statuettes. Une fois sur cette piste, l’imagination ne s’arrête plus. C’est vers Rome que l’infidèle s’est dirigé, via Helvetiœ ; mais il aurait pu tout aussi bien aller par le canal de Suez promener dans l’Inde ses fantaisies expérimentales, et, la pièce restant la même, le pittoresque n’eût fait qu’y gagner ; au lieu de ces aubergistes renouvelés de Fra Diavolo, de ces rapins démodés chantant la complainte de la brune, de la blonde et de la chauve ! de tout ce mauvais goût et de tout ce fatras, voyez d’ici la perspective, des théories de bayadères, des chœurs de brahmines, des sarabandes de fakirs, des maharajahs sur leurs éléphans, et le bûcher légendaire de la veuve du Malabar, comme dans le Tour du Monde ! M. Guiraud a spirituellement procédé selon la circonstance. On lui donnait un scénario dépourvu d’intérêt et de situations, il s’est jeté à corps perdu dans l’accessoire, prodiguant les sérénades, les sorrentines, les carnavals romains, les tarentelles et les ritournelles, et composant moins une partition qu’un chatoyant recueil de pièces et de morceaux. Toujours est-il qu’il y a là bien du talent, et que, si l’homme de théâtre a besoin d’une autre épreuve pour s’affirmer définitivement, le musicien reste dès aujourd’hui hors de cause. L’orchestre, habilement manié selon l’esprit du temps, abonde en ingéniosités harmoniques, en résonnances curieuses, la mélodie a de l’essor, heureuse souvent, parfois banale, presque toujours amusante. Tout cela, quand on