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que juste autant qu’il faut pour donner à l’action couleur dramatique. Son programme ne nous offre guère qu’une suite de tableaux dont chacun marque une étape du glorieux chemin parcouru : Domremy, Chinon, Orléans ; Rouen seuil est omis. Cette idée de sous-entendre le bûcher et de terminer le poème en plein triomphe, vous séduit au premier aspect ; cependant à la réflexion votre esprit se ravise et toutes les splendeurs de ce sacre, — un des plus beaux spectacles qui se puissent voir à l’Opéra, — ne sauraient être prises pour un dénoûment. L’histoire s’impose à vous malgré l’auteur, une Jeanne d’Arc simplement militante et triomphante ne sera jamais qu’une figure incomplète ; une scène et la plus admirable, manque à la trilogie, un volet au triptyque. Vierge, héroïne et martyre, nous dit l’histoire, comme s’il fallait que cette gloire si pure eût son châtiment et fût expiée à l’égal d’un crime. On cherche, on regrette le grand épilogue du procès, on songe à l’acte du sénat dans Othello, au conseil des évêques dans l’Africaine, et l’imagination se représente ce qu’un Meyerbeer aurait pu faire de ces effroyables assises où sombra l’honneur de deux nations. Je viens de nommer Shakspeare et je me rétracte ; le mieux ici est de le laisser de côté pour n’en point rougir. À quoi sert donc le génie, s’il ne nous défend pas contre les plus tristes et les plus vulgaires préjugés ? Tous les odieux commérages qui traînaient au XVe siècle dans les sacristies et dans les camps de la vieille Angleterre, le grand poète les adopte sans critique et les reproduit sans vergogne. Jeanne est une virago, une drôlesse fieffée, une infâme sorcière, son supplice même ne trouve point grâce devant lui, — disons plutôt devant l’auteur de cette première partie du King Henry VI, — car heureusement l’incertitude plane encore sur l’authenticité de ce drame, et bien des gens doutent qu’il soit de Shakspeare ; mais ce ne sont point là les affaires de M. Mermet, et quand on parle d’un ouvrage, l’important est bien moins d’insister sur les choses que le poète ou le musicien, pour une raison ou pour une autre, en a écartées, que de s’occuper de celles qu’il y a mises.

Le premier acte de Jeanne d’Arc est charmant ;, on citera le prélude symphonique qui lui sert d’ouverture, le récit de Gaston de Metz, bien conduit et se terminant par un de ces rhythmes vigoureux que reprend le chœur et dont le chantre de Roland a le secret ; on vantera les couplets de Jeanne, où je souhaiterais chez Mlle Krauss un peu plus d’énergie d’accentuation sur ces mots : une femme a perdu la France, une vierge la sauvera, qu’elle efface par trop d’émotion pathétique, au lieu de les mettre nettement en relief. Ce qui fait à mes yeux le charme de ce premier acte, c’est son caractère d’ensemble, le drame et la musique tout s’y tient, et le tableau serait complet si les voix célestes ne laissaient beaucoup à désirer. D’où partent ces voix ? que veulent-elles ? Il y a là un effet que le public ne s’explique pas, soit à cause de l’éloignement du chœur placé derrière la scène, soit à cause de l’absence de