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Il y a donc eu jadis dans le bassin du Mississipi un peuple nombreux, vivant sous l’empire des mêmes lois, de la même religion, puisqu’il a laissé des marques identiques de son existence sur une surface de grande étendue. Il labourait la terre selon toute apparence, car les tribus adonnées à la chasse ou à la culture pastorale sont nomades et n’élèvent pas de monumens ; d’ailleurs le territoire dont il s’agit est le plus fertile qu’il y ait dans l’Amérique du Nord. Ce peuple ne savait tailler ni la pierre ni le bois ; peut-être les outils lui faisaient-ils défaut : le cuivre et l’argent ne se retrouvent qu’en masses non travaillées. Un certain sentiment esthétique se révèle par le tracé des enceintes sacrées et par les poteries que l’on en exhume. Cependant, à en juger par leurs terrassemens gigantesques, les Mound-Builders avaient plus de persévérance que d’adresse. Qu’ils fussent civilisés pour le temps où ils vivaient, ce n’est pas contestable ; ils étaient religieux aussi, puisqu’ils ont laissé des édifices qui ne peuvent avoir servi qu’au culte divin, et cruels sans contredit, car les emplacemens de leurs autels témoignent, à n’en pas douter, que les sacrifices humains leur étaient habituels. Il n’y a rien dans les traditions indiennes qui permette de croire que les indigènes actuels soient leurs descendans. Depuis quelle époque ont-ils disparu ? Le problème est des plus obscurs ; les monumens en terre ne se dégradent guère plus en cinq cents ans qu’en cinquante siècles. Furent-ils les ancêtres des Mayas et des Nahuas qui colonisèrent le Mexique et l’Amérique centrale ? Le seul rapprochement entre eux est la forme pyramidale de certains édifices, indice qui semblera fort vague à quiconque observe que la pyramide se montre aussi bien loin de là, sur les bords du Nil, à l’aurore d’une autre civilisation. Au surplus, s’il y avait identité entre ces populations primitives de l’Amérique septentrionale, pourquoi les territoires intermédiaires du Texas, de l’Arizona, n’auraient-ils pas conservé la trace de leur migration vers le sud ? Il y a chez les Peaux-Rouges une légende lugubre qui se rapporte peut-être aux peuples constructeurs des tertres. Plusieurs siècles avant l’arrivée des Européens, une nation d’hommes blancs aurait été écrasée par ses ennemis dans la vallée de l’Ohio. Le Kentucky, théâtre de cet affreux carnage, aurait conservé chez les Indiens le surnom de « terre sanglante. » Les monticules situés dans cet état offrent un aspect inachevé qui atteste que l’œuvre des architectes fut brusquement interrompue. On veut même que les tribus natives les moins rebelles à la propagande européenne, les Natchez par exemple, aient été les survivans de cette nation vaincue. Nul ne saurait dire ce qu’il y a de vrai dans cette histoire mystérieuse.

Il semble probable/en résumé, qu’il y a eu dans l’Amérique du Nord plusieurs centres de civilisation indépendans les uns des