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les plus favorisées fussent parvenues dès le XVe siècle à un état social que les Espagnols admirèrent avec raison, aucune de ces civilisations natives n’a survécu. Bien plus, certains indices feraient croire que les peuples les plus civilisés avaient été écrasés longtemps avant l’arrivée de Christophe Colomb par une invasion de barbares, comme il serait arrivé dans le monde romain, si les Cimbres et les Teutons avaient triomphé de Marius cent ans avant Jésus-Christ. Si l’histoire avait été renversée dans l’un et l’autre hémisphère, peut-être un navigateur américain eût-il débarqué quinze cents ans plus tard sur quelque plage de la péninsule italique, et, sur le vu des ruines qu’il y eût aperçues, il aurait conclu que cette région avait appartenu jadis à une nation illustre, désormais disparue.

Il faut bien le confesser, les Européens ont souvent agi dans le Nouveau-Monde comme s’ils avaient été des barbares. À la suite de Christophe Colomb, ils envahirent cet eldorado avec une ardeur prodigieuse, s’y comportant chacun selon son tempérament, partout et toujours avec un égal mépris pour les indigènes. Les royaumes un peu policés, le Mexique et le Pérou par exemple, dont les richesses tentaient la cupidité des immigrans, subirent le joug les premiers. Les seules peuplades qui conservèrent leur indépendance, leur vie propre, furent les plus sauvages, auxquelles il n’y avait rien à prendre ou qui fuyaient devant l’invasion. Domptées et converties par les uns, traquées par les autres, les tribus natives disparurent ; ce qu’il en échappait perdit toute originalité. Il ne reste probablement pas plus de 3 millions d’indigènes dans l’Amérique septentrionale toute entière ; il y en avait bien dix fois plus à l’époque de la découverte. Aussi l’étude des races natives encore existantes jette-t-elle peu de jour sur la situation qu’elles avaient au temps de la conquête. Passons-les néanmoins en revue du nord au sud, comme le fait M. Bancroft, pour voir ce qu’il en survit. Tout à fait au nord, dans le territoire d’Alaska, que le tsar a vendu aux États-Unis il y a peu d’années, subsistent de malheureuses tribus dont l’existence est une lutte perpétuelle contre les élémens. Le climat y est d’une sévérité excessive. Ce n’est pas cependant que le pays soit pauvre ; au contraire, la vie animale y abonde, tant sur terre que sur mer. Les indigènes sont Esquimaux, d’origine asiatique, suivant toute apparence ; les continens ne sont séparés à cette latitude que par d’étroits bras de mer qui gèlent en « hiver ; le trajet s’opère sans difficulté. Il est remarquable que dans cette région de l’extrême nord Européens et natifs vivent en meilleure intelligence que partout ailleurs. La cause en est que les marchands de fourrures, les seuls hommes blancs qui s’aventurent si loin, ont reconnu que les Indiens étaient d’excellens pourvoyeurs. Ils en ont donc eu soin, poussant le souci au point de ne leur