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Lorsqu’on veut suivre pas à pas les progrès de la civilisation sur un grand continent, il faut encore tenir compte des conditions géographiques au milieu desquelles les peuples se meuvent. Cette remarque est d’autant plus importante dans la circonstance qu’il y a sous ce rapport une différence considérable entre l’ancien monde et le nouveau : en Asie et en Europe, même en Afrique, les principales chaînes de montagnes sont orientées de l’est à l’ouest ou à peu près ; en Amérique, elles le sont du nord au sud. On a prétendu avec assez de vraisemblance que les habitans de la zone tempérée furent les premiers à sortir de la barbarie. Plus près de l’équateur, l’homme vit au milieu de l’abondance sans souci ni travail, il n’éprouve pas le besoin d’améliorer son sort ; plus au nord, il ne subsiste qu’avec peine, la vie est une lutte pénible contre les élémens. Cette loi de nature s’est assez bien vérifiée dans l’ancien continent, où, depuis le massif central de l’Asie jusqu’au littoral de l’Atlantique, s’étale une large région ni trop chaude ni trop froide, uniformément fertile à peu d’exceptions près. Dès qu’une tribu, cantonnée dans cet espace, fut en possession des premiers instrumens de civilisation, le feu, les métaux, dès qu’elle sut domestiquer les animaux utiles, cultiver la terre, elle eut aussi devant. elle autant de place qu’il était besoin pour croître et se multiplier, pour s’étendre sans modifier les conditions de son existence. L’Assyrie, l’Égypte, l’Asie-Mineure, l’Europe méridionale tout entière, étaient à cet égard parmi les pays les plus favorisés du globe. En vertu de circonstances peu connues, les hommes qui vivaient sur les bords du Nil et de l’Euphrate surent les premiers labourer, construire des monumens durables, traduire leurs pensées par l’écriture. Dans la Gaule, en Italie, dans la vallée du Danube, des hommes de race différente, auxquels le sol et le climat n’étaient pas moins propices, empruntèrent à ces voisins du sud les connaissances qui leur manquaient. Pour les habitans primitifs de notre Europe, le bassin de la Méditerranée fut un foyer de lumières où tous profitèrent de l’expérience que les tribus les plus industrieuses avaient acquise. Ainsi la civilisation dont nous avons hérité passa tour à tour de l’Égypte en Grèce, de la Grèce en Italie, toujours plus brillante à mesure qu’elle s’avançait, et elle n’a eu de rivale en aucun lieu du globe. A une époque critique, elle fut mise en danger par un flot de barbares ; mais alors elle avait acquis assez de puissance pour leur résister, bien plus, elle les subjugua.

En Amérique, il en est autrement. Sous quel aspect s’y présente en effet la zone comparable, en latitude, au bassin de la Méditerranée ? C’est l’espace compris entre New-York et San-Francisco, où le continent offre le plus de largeur. Sur la côte atlantique, le climat est excessif, plus chaud en été, plus froid en hiver qu’il ne l’est