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n’eût pas demandé moins de dix années de travail à un homme seul. L’un a pris l’histoire proprement dite, un autre la mythologie, un autre l’architecture ou la linguistique. Cette singulière application des procédés industriels à la production d’une grande œuvre d’érudition ne laisse pas d’être ingénieuse ; il n’est pas extraordinaire que l’exemple en soit donné par un Américain des États-Unis.


I

Il n’y a pas longtemps encore, l’histoire de l’humanité commençait avec les plus anciennes relations écrites ; tout au plus consentait-on à tenir compte des traditions orales rapportées par les auteurs les plus anciens sur la foi de ceux qui les leur avaient racontées. C’était trop se restreindre, puisque les nations étaient déjà vieilles lorsque les premiers livres furent écrits, et que c’est précisément dans la période antérieure à toute littérature qu’il faut rechercher les souvenirs d’origine ou de migration des peuples. L’érudition moderne se meut dans un espace plus large ; plusieurs sciences sont devenues ses tributaires. Pour elle, le linguiste étudie les divers idiomes morts ou vivans, il en compare les mots et la grammaire pour découvrir s’ils sont issus d’une langue commune ; l’antiquaire collectionne les débris des civilisations primitives que recèlent les tombeaux ou le sol des lieux anciennement habités ; le naturaliste mesure les crânes et les ossemens des squelettes retrouvés sous terre ; l’architecte relève les plans des monumens qui ont résisté aux intempéries atmosphériques, il en restitue les proportions et les dispositions premières avec une imagination trop complaisante quelquefois ; enfin les inscriptions hiéroglyphiques fournissent à l’épigraphiste des renseignemens d’une authenticité non douteuse, Ce qu’il faut de sage critique pour ne pas s’égarer avec des points de repère si fugitifs, on le comprend sans peine. Aussi l’historien des temps primitifs ne saurait-il trop se garder des hypothèses de fantaisie, dont les études américaines en particulier n’offrent que trop d’exemples. Il s’est trouvé des écrivains qui faisaient descendre les Peaux-Rouges des Juifs, sous prétexte qu’on retrouve sur les bords du Mississipi quelques mythes populaires analogues à ceux de la Judée ; d’autres, sur la foi de quelques étymologies trompeuses, veulent que les Chinois aient envoyé des colonies en Californie. Il importe de se persuader tout d’abord qu’une indication isolée est sans valeur parce qu’elle peut être due à une coïncidence fortuite. Les seules conclusions que l’historien ait le droit d’admettre, sont celles que fournissent d’accord les monumens, les langues, les caractères physiques de l’homme, ses mœurs et ses traditions.