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d’inauguration solennelle, comme avait été cent soixante ans plus tôt celle de Halle, point de prince entouré de ses ministres et de sa cour, point de salves de canon, de discours sans fin, de défilés sous les arcs de triomphe, point de médailles commémoratives jetées au peuple, ni de fontaines versant le vin à tout venant. La fondation de Halle avait préparé l’élévation du royaume de Prusse ; celle de l’université de Berlin préparait sa résurrection, mais cette résurrection était encore incertaine et l’avenir était noir et menaçant.

Ainsi fut créée l’université berlinoise. Dans les années qui suivirent, mainte imperfection fut corrigée, et l’on ne saurait trop recommander le livre de M. Köpke à ceux que préoccupe la pédagogie, de l’enseignement supérieur. Un épisode pourtant nous attire dans l’histoire de ces années : je veux parler du rôle que l’université a joué dans le mouvement national de 1813. Nulle part cette insurrection patriotique n’a été plus louée qu’en France, car nous avons ce privilège des peuples généreux de pouvoir admirer nos ennemis. Chose étrange, nous y mettons même de l’aveuglement et de la partialité ! Il faut que ce soit un Allemand qui nous ramène à l’exacte vérité, en nous montrant que ce bel héroïsme a, pour éclater, attendu qu’il pût le faire sans danger. « Lorsque Dieu, les frimas et les Cosaques, dit Henri Heine, eurent détruit les meilleures troupes de Napoléon, nous autres Allemands, il nous prit la plus vive envie de nous délivrer du joug étranger ; nous brûlâmes de la colère la plus mâle contre cette servitude trop longtemps supportée ; nous nous échauffâmes au son des belles mélodies et des mauvais vers des chansons de Körner, et nous gagnâmes la liberté dans les combats, car nous faisons tout ce que nous commandent nos princes. » L’université de Berlin ne fut point plus téméraire que la cour et le peuple de Prusse. Au mois d’août 1812, comme une partie de notre armée traversait Berlin pour se rendre à Moscou, les professeurs, qui célébraient une fête, y invitèrent très poliment le gouverneur français et les officiers supérieurs, auxquels Böckh lut un beau parallèle, en langue latine, entre Athènes et Sparte, après quoi, nos soldats se rendirent où les attendaient « Dieu, les frimas et les Cosaques. » Les esprits avaient été remués par leur passage ; mais une victoire des armes françaises eût calmé cette effervescence, et nos généraux au retour auraient retrouvé leur place d’honneur dans la salle des fêtes du palais de l’université. M. Köpke, sans qu’il s’en doute, est de l’avis de Henri Heine, car il dit : « Bientôt arrivèrent les premières nouvelles de l’anéantissement de l’armée française ; on sentit que le moment décisif était venu ; les salles de cours commencèrent à se vider ! .. » Et pourtant il serait sottement injuste de ne point louer l’empressement que mirent les étudians à offrir leur vie pour