Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

martyre approximatif et par ricochet ; mais si quelque Français de nos jours, dans une ville occupée par l’ennemi, se fût permis de dire sur la supériorité de la race française une. très petite partie de ce qui fut professé par Fiente sur la supériorité de la race allemande, en sous-entendant à chaque mot un appel à la révolte, il n’eût pas attendu longtemps avant d’être arrêté, jugé, condamné et précipité par la fusillade dans une fosse que les exécuteurs lui auraient fait creuser de ses mains.

Cependant quatre professeurs, quel que soit leur mérite, ne font pas une université. Les négociations, pour compléter le personnel, languirent jusqu’au jour où, Dohna ayant été appelé au ministère de l’intérieur, après la retraite de Stein, la direction de la section de l’instruction publique fut confiée à Guillaume de Humboldt. Personne autant que lui n’était capable de mener à bien la grande entreprise. C’était un homme d’état autant qu’un homme de science. Collaborateur de Kant plutôt que son disciple, profond connaisseur en lettres anciennes, presque l’émule de Wolf, le grand critique et le grand philologue, interprète autorisé de Goethe, intime ami de Schiller, il avait lui-même fait faire les plus grands progrès à l’étude du langage. Böckh a tracé de lui, dans un éloge funèbre prononcé devant l’académie, un beau portrait qui est ressemblant. « Rarement, dans les temps modernes, il s’est rencontré un homme qui ait manié les affaires publiques et la science avec tant d’adresse et de grandeur. C’était un homme d’état véritable, pénétré d’idées et guidé par elles, un homme d’état de haut esprit, à la façon de Périclès. Philosophie, poésie, éloquence, érudition historique, philosophique, linguistique, s’unissaient en lui sans discordance ! » Sans effort et rien qu’à consulter sa pensée, Humboldt trouva le plan de l’université modèle, où les lettres et les sciences vivraient, comme en lui-même, en parfaite harmonie.

Un local, de l’argent, des hommes, il chercha tout à la fois. Le local fut bientôt trouvé : ce fut le palais du prince Henri, frère de Frédéric II. Le palais avait des habitans qui ne délogèrent pas volontiers : c’étaient d’anciens serviteurs du prince, des officiers du cabinet militaire, et le conseil municipal de la ville, qui tenait là ses séances. Il faut croire que ces hôtes n’étaient pas aussi pénétrés que le roi de la nécessité de réparer « les forces intellectuelles de la nation,  » car il fut très difficile de leur faire quitter la place. Les militaires cédèrent les derniers ; quand ils partirent, ils laissèrent leurs chevaux, dont on eut toute la peine du monde à se débarrasser, pour transformer les écuries en laboratoires. Enfin l’université fut maîtresse chez elle, et elle put être fière de son domicile : le roi avait prouvé qu’il entendait faire grandement les choses