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était le ministre d’un état à peine assuré de son lendemain, il était contraint d’aller au plus pressé, qui était de trouver de l’argent pour payer la contribution de guerre, racheter le territoire encore occupé par les vainqueurs, et réorganiser l’administration et l’armée. Au reste, il n’était pas de ceux qui voulaient que Berlin fût le siège de l’université. Il craignait pour la moralité publique les effets de l’humeur entreprenante des étudians et de la proverbiale faiblesse des filles berlinoises. « Cela fera, disait-il, trop de bâtards par an ! »

Ces dispositions du ministre encouragèrent divers mécontens dont la résistance n’était point honorable. C’était le collège médico-chirurgical, qui protestait contre toutes leçons de médecine faites sans sa permission et son contrôle. C’était l’académie, qui prenait ses précautions contre l’université future : son directeur fit un grand discours, où il démontra qu’il fallait réserver à l’académie l’objectif, c’est-à-dire la science, et confiner l’université dans le subjectif, c’est-à-dire dans l’enseignement, de telle sorte qu’une bonne mémoire suffirait au professeur de l’université, au lieu que l’académicien aurait le privilège du génie. L’académie craignait d’ailleurs d’être gênée dans l’usage de la bibliothèque royale, et d’avance elle s’en plaignait. C’était l’université de Francfort-sur-l’Oder qui redoutait la concurrence de Berlin et faisait répéter par ses défenseurs que la grande ville effaroucherait les muses, qui « aiment le séjour des bois et des vallons. » D’autres difficultés venaient de professeurs dont on voulait s’assurer le concours, et qui le mettaient à trop haut prix. Plusieurs qui étaient venus à Berlin pour y attendre leur « vocation,  » ne voyant rien arriver, se lassèrent. Ils prêtèrent l’oreille aux instances qui leur vinrent d’autre part ; de tristes exemples de faiblesse furent donnés même par des promoteurs du grand projet : l’un d’eux fut sur le point d’accepter une chaire à l’université de Halle, rouverte par la permission de l’empereur et désormais université napoléonienne. Tant l’héroïsme continu est difficile même à des philosophes, et l’attrait d’un beau traitement irrésistible, même sur des professeurs qui ont voué leur vie à la science allemande !

Les fidèles furent pourtant plus nombreux que les défaillans, et, pour retenir ces derniers, ils demandaient instamment que l’on commençât, si modestement que cela fût. On commença donc. Quatre professeurs, désignés pour faire partie de l’université nouvelle, inaugurèrent leurs leçons dans l’hiver de 1807 à 1808. Parmi eux était Fichte. Il lut ses « discours à la nation allemande,  » qui furent entendus de l’Allemagne entière, car il faisait de sa patrie l’éloge le plus passionné, mais aussi le plus propre à relever