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de répandre aux bords orientaux de la Baltique la doctrine à laquelle il doit sa couronne. Quand le grand-électeur Frédéric-Guillaume prend possession des premiers domaines que la Prusse ait occupés sur le Rhin, il crée l’université de Duisbourg, afin d’anoblir pour ainsi dire la nouvelle province, de lui faire apprécier l’honneur d’appartenir à un prince-électeur du saint-empire, et de s’attacher les générations qui allaient être élevées dans une maison au fronton de laquelle on lisait : Friderici Guilelmi Academia. Ce prince voulut faire mieux encore, et ce n’est pas une des moindres singularités de son histoire que le projet qu’il conçut de fonder à Berlin « une université des peuples, des sciences et des arts,  » libre asile de l’esprit, ouvert à toutes les doctrines scientifiques, aux victimes de toutes les croyances religieuses, aux juifs et aux mahométans comme aux chrétiens, aux incrédules comme aux croyans. Il voulait que cette université fût « le lien des esprits, le siège des muses, la forteresse de la sagesse, cette souveraine maîtresse du monde. » Des traités internationaux lui devaient assurer le bénéfice de la neutralité, afin que « le bruit des armes n’étouffât point la voix des muses. » L’enseignement y serait affranchi de tout contrôle ; l’administration y appartiendrait à des consuls élus par les professeurs. L’université aurait le droit de haute et basse justice, et relèverait directement et uniquement de l’électeur. Elle aurait sa bibliothèque, son imprimerie, pourvue des caractères de toutes les langues, ses laboratoires, ses hôpitaux, son église. Curieux rêve, et qui fut plus qu’un rêve, car l’électeur a publié la charte de fondation de cette grande école ! Ce fut sa façon de payer son tribut à une mode du XVIIe siècle, où il y eut tant de « rêveurs d’Atlantides. » Notre Henri IV aussi, auquel Frédéric-Guillaume Ier ressemble par plus d’un trait, eut son rêve, celui de la paix perpétuelle. D’autres, comme Fénelon, imaginèrent un état où régnerait la pure justice. En Allemagne, terre classique de la pédagogie, car en tout Allemand il y a un pédagogue, l’Atlantide fut une université idéale, irréalisable comme la paix perpétuelle ou le règne de la pure justice.

Le successeur du grand-électeur fonda en 1694 l’université de Halle. Il était entré dans la grande alliance formée contre Louis XIV, et afin de mériter le titre de roi qu’il prit quelques années plus tard, il voulait s’illustrer par la double gloire des armes et de l’esprit. C’est pourquoi, quand Heidelberg, ce vieux sanctuaire de la science allemande, eut été détruit par l’invasion française, il revendiqua pour l’électorat de Brandebourg l’honneur de rétablir sur un autre point l’université disparue. « Je ne me suis plus souvenu, dit-il le jour de l’inauguration, à laquelle il vint assister avec toute