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par conséquent plus de pensée allemande, comme au temps de la réforme, et les universités, obéissant à la destinée commune, furent frappées de déchéance comme l’Allemagne elle-même. A Tubingue, à Wittemberg, à Leipzig, la théologie dégénère en une polémique tracassière. Piétistes et orthodoxes s’injurient niaisement et méchamment jusqu’au jour où, le rationalisme protestant ayant paru, ils unissent contre lui leur haine, qui fut terrible, étant à la fois allemande et dévote. En même temps que la liberté dans la foi, disparaît la liberté dans la science, opprimée sous le poids des formules et d’une érudition pédantesque. Il faut attendre jusqu’à la fin du XVIIIe siècle le réveil de la vie intellectuelle en Allemagne. Ce réveil fut éclatant, il est vrai : c’est alors que Göttingen inaugure l’ère féconde de ses découvertes historiques ; Leipzig met sa gloire à aimer et à faire connaître par une critique nouvelle l’antiquité classique. A Iéna, Schelling, disciple de Spinoza et prédécesseur de Hegel, enseigne cette poétique philosophie de la nature qui, si elle n’a pas longtemps contenté les esprits, a fait faire d’admirables progrès aux sciences naturelles ; à Kœnigsberg, Emmanuel Kant, après avoir élaboré par le travail quotidien de longues années la Critique de la raison pure, publie ce livre fameux, que l’Allemagne met huit années à comprendre, et qu’elle se prend à aimer ou à détester avec tant de force, que depuis Luther il ne s’était point vu pareille agitation dans les esprits. Alors ces maîtres et d’autres moins illustres, mais grands encore, savans, lettrés, philosophes, parlant du haut des chaires à une jeunesse nombreuse et docile, attirent vers eux l’attention universelle et rendent à la nation allemande quelque sentiment de sa dignité au moment où achève de mourir dans l’impuissance et dans le ridicule le saint-empire romain germanique, ce corps décrépit qui depuis longtemps n’avait plus rien de saint, ni d’impérial, ni de romain, ni de germanique, et qui, à chaque fois qu’il voulait intervenir dans les affaires de ce monde, a était en retard d’une année, d’une armée, d’une idée ! »

Les universités étaient donc en pleine activité lorsque survinrent les désastres qui achevèrent le vieil empire et mirent en un suprême péril même le jeune état de Prusse : il est naturel qu’un souverain leur ait voulu faire une part dans l’œuvre de la régénération. De tous les princes d’Allemagne, les Hohenzollern sont précisément ceux qui ont le mieux connu l’utilité que l’on peut retirer de la création d’une université, faite en temps et lieu bien choisis. Ils en fondent une à tous les momens décisifs de l’histoire de Prusse. Quand Albert de Hohenzollern jette aux orties son manteau de grand-maître de l’ordre teutonique et se fait luthérien pour devenir duc, il ouvre l’université de Kœnigsberg et lui assigne la mission