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car il lui promit de fonder à Berlin une université nouvelle. « Il faut, lui dit-il, que l’état supplée par les forces intellectuelles aux forces physiques qu’il a perdues. » C’est une belle parole, et rien ne permet de croire que le roi de Prusse ne pensât pas comme il disait : les Hohenzollern sont restés longtemps de trop petits seigneurs, et ils ont été trop intelligens pour dédaigner une force, de quelque nature qu’elle fût. Tous ont tenu en supérieure estime la force matérielle, mais presque tous ont marqué des égards à la force intellectuelle. Au reste, l’idée qu’un des moyens les plus efficaces de relever la Prusse après Iéna fût de fonder une université nationale était très naturelle en ce pays, et le roi, dans sa conversation avec le docteur Schmalz, ne fit qu’exprimer la pensée d’un grand nombre de ses sujets.

Les universités allemandes en effet ont toujours été activement mêlées à la vie nationale, depuis le jour où la première a été fondée à Prague, au XIVe siècle, sur le modèle de la florissante « école de Paris. » Jamais institution apportée de l’étranger n’a poussé plus avant dans un sol nouveau de plus fortes racines. Dès le XVe siècle, les universités commencent à jouer un rôle ; les idées nouvelles qui agitent, les esprits s’y abritent contre la persécution : le moment venu, elles y recrutent des intelligences et des bras pour se défendre. Au XVIe siècle, les universités sont des champs de bataille : le cri de révolte de Luther part de Wittemberg, où se forment en même temps les pères de l’église nouvelle et les premiers maîtres, qui, portant dans la science la liberté, d’esprits, affranchis de la tradition, lui ont découvert de nouveaux horizons. Cependant le catholicisme, d’abord surpris, se défend avec vigueur et par les armes mêmes avec lesquelles il est attaqué ; des deux parts, on fonde des universités nouvelles et l’on réforme les anciennes : Luther estime qu’il n’est pas d’œuvre plus digne d’un pape et d’un empereur, ou, pour traduire plus exactement, « rien de plus pontifical ni de plus impérial » qu’une bonne réforme des universités. On se disputait donc les âmes comme les territoires : les esprits se heurtaient dans les salles des cours, comme les armées s’entrechoquaient sur les champs de bataille ; on élevait école contre école, comme forteresse contre forteresse. Jamais peut-être plus bel hommage ne fut rendu à la force intellectuelle.

Il est vrai qu’après le combat vinrent la fatigue et l’épuisement. Les forces matérielles de l’Allemagne ne furent pas seules atteintes par la guerre de trente ans : ce qui restait d’activité intellectuelle dans les petits états qui survécurent à la tourmente fut mis à relever les ruines. Alors commença la vie égoïste enfermée dans un cercle étroit. Il n’y avait plus d’Allemagne, à proprement parler,