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souverain du pays, ou bien elle appartient à la commune, à l’ensemble des habitans qui la cultivent. Dans un cas comme dans l’autre, c’est un bien public inaliénable, un bien de la communauté dont les individus n’ont que la jouissance.

Le kniaz dans la Russie apanagée, le tsar dans la Moscovie unifiée se considère comme le maître, le haut propriétaire du sol (samovlaslnim khoziaïnom). Le caractère de propriétaire l’emporta même pendant longtemps sur le caractère de souverain, et c’est au premier titre, comme son domaine privé que le grand-prince de Moscou gouverne et administre le territoire de ses états[1]. Ses terres, le kniaz les distribue à sa droujina, le tsar à ses boïars comme prix de leurs services. Dans un pays de peu de commerce et de peu de richesse, où l’argent monnayé apparaît tardivement et demeure toujours rare, la terre est pour le souverain le plus facile et le meilleur moyen d’entretenir ou de récompenser ses serviteurs ; c’est la solde du capitaine, le traitement du fonctionnaire. dette terre, ainsi donnée en paie, est prise comme un salaire, une gratification, une pension, non comme, une demeure perpétuelle et héréditaire, elle n’est ni un centre de famille, ni un centre d’influence.

Pour la droujina et plus tard pour la noblesse russe, la propriété a été un lien de dépendance, une chaîne de servitude plutôt qu’un instrument d’émancipation et de pouvoir. On distingue dans l’ancienne Russie deux modes de propriété personnelle, et par suite deux catégories de biens fonciers, la vottchina et le pomestié, la terre possédée en propre, reçue en héritage des ancêtres, et la terre attribuée par le souverain, donnée en jouissance aux serviteurs de l’état. On peut trouver là quelque chose de plus ou moins analogue aux alleux et aux fiefs ou bénéfices de l’Occident. En Moscovie, les terres concédées en échange de services rendus ont supplanté les biens patrimoniaux, héréditaires, le pomestié absorbé la roottchina. C’est du pomestié que semble provenir la propriété noble actuelle, si bien que dans la langue le terme de pomecktchik n’a plus que le sens de propriétaire. Il y avait une classe importante de vottchinniki, d’hommes tenant la terre de leur propre droit et de leurs ancêtres ; c’étaient les kniazes, les princes apanages, chez lesquels la propriété du sol avait pu survivre à la souveraineté. Les princes moscovites prirent à tâche de remédier à cet état de choses, qui sous leur domination constituait une sorte d’anarchie. Le grand-prince eut soin de ne pas laisser à ses agnats, aux branches collatérales de sa maison, la propriété des domaines annexés à la

  1. Voyei à ce sujet Tchitchérine, Outchregdénïa Rossii v XVII véké et aussi du même auteur Opity po istorii rousskago prava.