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brouillés, des scènes fâcheuses de famille, et chacun disait que la reine ruinerait toutes les dames françaises[1]. » Ce fut là une des causes et peut-être la principale cause de la désaffection qui poursuivit Marie-Antoinette à l’approche des états-généraux. Les hommes étaient plus sérieux ; ils laissaient aux dames ce marivaudage insensé de pompons, de rubans et de dentelles. Ils avaient toujours la culotte, le gilet de soie long, les souliers à boucles et les chapeaux à cornes, mais les paillettes avaient disparu ; leur costume plus sévère annonçait un changement dans les idées, et le 14 juillet 1789 la prise de la Bastille inaugura une ère nouvelle.

Les patriotes avaient pour signe de ralliement une cocarde rouge et bleue ; c’étaient les couleurs du blason de Paris. La Fayette voulut qu’on y ajoutât le blanc, qui depuis Henri IV était devenu la couleur royale, et le 17 juillet, Louis XVI, étant venu à l’Hôtel de Ville, fut sommé de mettre à son chapeau la cocarde tricolore. A dater de ce jour, la souveraineté se déplace et la révolution triomphante marche avec une puissance irrésistible. Tout ce qui rappelait l’ancien régime est repoussé, brisé, foulé aux pieds. Des médaillons fabriqués avec les pierres de la Bastille remplacent au cou des femmes les croix d’or et les colliers. On porte des bonnets aux trois ordres réunis, à la constitution, à la citoyenne. Les couleurs cuisse de nymphe et cuisse de puce disparaissent devant les couleurs nationales. Chaque crise politique détermine un changement dans la coiffure ou les habits. Chaque parti a son costume : le frac de drap en queue de morue, la culotte de casimir ou de daim, le chapeau rond, les bottes à revers ou les souliers à rosettes, distinguent le vrai patriote de 1790. Le patriote centre gauche a le gilet et la culotte noire avec l’habit de couleur claire. Le royaliste est vêtu de noir des pieds jusqu’à la tête ; on le plaisante, on prétend qu’il est en deuil du despotisme, et pour protester il prend la cravate blanche, l’habit vert à collet rose, qui était la livrée du comte d’Artois, et le gilet de bazin semé d’écussons fleurdelysés. Louis XVI ne comprend rien à ces métamorphoses, il ne reconnaît plus son peuple, mais il sent vaguement que l’ancien régime s’écroule. Roland, nommé ministre en 1792, entre dans son cabinet avec des souliers à cordons, tandis que les boucles étaient restées d’étiquette

  1. Mémoires, t. Ier, p. 95. — On peut juger par la toilette de l’une des célébrités galantes de Paris, Mlle Duthé, à quel point de ridicule préciosité les femmes en étaient arrivées en 1778 : robe de soupirs ornée de regrets superflus, point de candeur parfaite, rubans en attentions marquées, souliers cheveux de la reine brodés de diamans en coups perfides, venez-y-voir en émeraudea, frisée en sentimens soutenus avec un bonnet de conquête assurée garni de plumes volages, ruban œil abattu, chat sur le cou couleur de gueux nouvellement arrivé, manchon d’agitation momentanée.