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Valois, brise avec son glorieux passé. Le costume semble refléter le désordre des temps, les hommes quittent la tunique longue pour le pourpoint ou justaucorps serrant étroitement le buste et découpé sur les bords en languettes très fines. Les élégans font faire la moitié de leurs habits et de leurs chausses avec une étoffe blanche, verte ou rouge, et l’autre moitié avec une étoffe jaune, bleue ou noire, en cherchant toujours les couleurs qui contrastent le plus entre elles. Le chaperon se garnit par derrière d’une cornette qui tombe jusqu’aux jambes en manière de queue. Les souliers s’allongent comme la cornette, ils se terminent en avant par une poulaine, c’est-à-dire par un morceau de cuir de 6, 12 et 24 pouces, qui rappelait, suivant les théologiens, l’ergot du diable. Les coiffures au jardin, au gibet, à la pagode, au navire, exhaussées par des cheveux auxiliaires, s’élèvent à 2 pieds au-dessus de la tête des femmes. Les nudités les plus effrontées s’étalent au grand jour :

Aucune laisse déffrenée
Sa poitrine, pour ce qu’on voie
Come fêtement sa chair blanchoie ;
Une autre laisse tout de gré
Sa chair apparoir au costé[1].

L’église essaya vainement de rappeler les femmes à la pudeur ; elle fut vaincue, car le démon de la coquetterie n’est pas de ceux qu’on exorcise. Malgré les malheurs du temps, « la variance des habits, comme dit un chroniqueur, allait toujours son train, et, parmi toutes les nations de la terre habitable, il n’y en avait pas de si difformée, oultrageuse, excessive, inconstante en vestemens que la françoise. » Les bals masqués, qui s’ouvrirent pour la première fois en 1393, mirent le comble aux extravagances.

Cette année-là, le mardi avant la Chandeleur, on dansait à l’hôtel Saint-Pol à l’occasion du mariage d’une fille d’honneur de la cour. Il prit fantaisie à Charles VI de se déguiser « en homme sauvage, » au moyen d’une cotte de toile sur laquelle, dit Froissart, on avait collé avec de la poix du lin délié « en forme et couleur de cheveux. » Il allait entrer dans la salle du bal, avec cinq jeunes seigneurs déguisés de la même manière, lorsque messire Ivain de Galles lui fit remarquer qu’il serait dangereux dans cet attirail d’approcher des valets, qui portaient des torches à la main pour éclairer les salles. Charles fut de cet avis ; un huissier d’armes alla donner l’ordre aux valets de s’éloigner, et par une fatale rencontre le duc d’Orléans, qui était de la fête, entra avec d’autres valets qui portaient aussi des torches en même temps que les hommes sauvages. Le feu prit à leur vêtement de lin ; quatre d’entre eux

  1. Voyez le Chastiment des Dames, fabliaux, publiés par Méon, t. II, p. 184.