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des communes, s’élevait en face du droit féodal, les bourgeois émancipés étaient devenus les alliés des rois. La noblesse voulut se distinguer par des signes extérieurs de la classe qui grandissait autour d’elle. Elle emprunta ces signes à la zoologie réelle ou fantastique, aux armes offensives et défensives, à l’agriculture, aux souvenirs des croisades exprimés par des croix, des coquilles de pèlerin, des palmiers, des oiseaux voyageurs, en un mot à tout ce qui pouvait constater sa gloire militaire ou sa puissance territoriale. Chaque famille adopta des emblèmes particuliers avec lesquels elle s’identifia complètement, et c’est de là que sont sorties les armoiries. Les privilégies de la naissance mirent leur honneur dans ces hiéroglyphes. Ils les placèrent partout, sur les façades de leurs châteaux, sur leurs meubles, leurs vêtemens, leurs tombeaux, pour garder jusque dans la mort un témoignage toujours présent de la supériorité qu’ils s’attribuaient. Les armoiries délimitaient la séparation des castes, en même temps que les lois somptuaires les enfermaient chacune dans des barrières infranchissables : le noble s’habillait de soie, s’éclairait avec de la bougie de cire, mangeait dans de la vaisselle d’argent, et se faisait enterrer dans les églises pour rappeler son nom aux hommes qui viendraient après lui sur cette terre, et se recommander à leurs prières. Le roturier s’éclairait avec de l’huile ou du suif, mangeait dans de la vaisselle d’étain, et allait s’engloutir au milieu de charniers infects où les générations s’entassaient les unes sur les autres sans laisser trace de leur passage sur la terre. Cependant, malgré les lois somptuaires, le luxe, au XIIIe siècle, était très développé dans toutes les classes. On comptait dans Paris, qui eut toujours le monopole des industries élégantes, trente-six grandes corporations qui travaillaient à ce que l’on appelle aujourd’hui les articles de mode et de haute nouveauté. Ses orfèvres jouissaient d’une si grande réputation que l’un d’eux, Guillaume Boucher, fut appelé, sous le règne de saint Louis, auprès du grand khan de Tartarie, pour exécuter divers objets d’art, entre autres une fontaine dans laquelle il n’entra pas moins de 3,000 marcs d’argent. Cette fontaine représentait un grand arbre au pied duquel étaient couchés quatre lions qui jetaient différentes boissons par la gueule ; des serpens dorés s’enlaçaient autour de l’arbre, et sur le sommet se dressait un ange qui tenait une trompette. Le mouvement industriel n’était pas moins actif dans les provinces que dans la