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l’art de tisser[1] et de teindre. Les colonies grecques qui s’établirent au VIIe siècle sur le littoral de la Méditerranée et les expéditions d’Italie déterminèrent un nouveau progrès ; les bracelets et les colliers d’or, façonnés par les indigènes, remplacèrent les dents d’ours et les rondelles de pierre, et déjà les métaux précieux étaient si communs que le consul Servilius Cépion, en pillant Toulouse pour la punir de s’être, alliée aux Cimbres, trouva dans le sanctuaire du dieu Bélénus, où toutes les tribus envoyaient des offrandes, 120,000 livres d’or[2] et 150,000 livres d’argent. À cette époque, 106 ans avant Jésus-Christ, le costume national se composait d’un pantalon, braccœ, dont nous avons fait braies, d’une blouse descendant au milieu des cuisses et d’un petit manteau bariolé, la saie, qui s’attachait sous le menton avec une agrafe. Ce manteau était la pièce essentielle, celle où chacun mettait son luxe. On s’en parait pour assister aux assemblées publiques où se débattaient les intérêts de la tribu. Ces assemblées étaient d’ordinaire fort tumultueuses, car les Gaulois étaient grands parleurs, Gallia causidicorum nutrix, et, pour rappeler les perturbateurs à l’ordre, des surveillans qui faisaient les fonctions de nos huissiers, étaient chargés de couper un morceau de leur saie, assez grand pour qu’il fût impossible de s’en servir plus longtemps. Les femmes remplaçaient la saie par une tunique qui descendait jusqu’aux pieds et laissait le haut de la poitrine à découvert. Elles donnaient, avec de l’eau de chaux, une couleur rouge ardent à leurs cheveux, rutilati capilli, et les dames romaines trouvaient ces cheveux si séduisans qu’elles en faisaient venir à grands frais pour s’en faire, comme aujourd’hui, des chignons et des nattes.

La conquête de César façonna en un siècle la Gaule à l’image de l’Italie. L’industrie du vêtement prit un essor extraordinaire. Arras fabriquait des tapis, des étoffes fines, qui passaient avec celles de Laodicée pour les plus parfaites de l’empire. Langres et Saintes fournissaient des draps à longs poils, les villes de l’ouest des mouchoirs, des toiles blanches et peintes. La population indigène abandonnait ses huttes circulaires en torchis, terminées par un toit cintré couvert d’un chaume épais, pour les maisons construites sur le modèle romain, avec les mêmes appartemens : l’atrium, salle de réception, — les cœnationes, salles à manger, — les cubicula, chambres à coucher. Au centre se trouvait une cour carrée plantée de fleurs ; les

  1. On a fait des calculs en VIIe de constater la progression de la force productive dans l’industrie du tissage depuis les premiers temps historiques, et l’on est arrivé à ce résultat que, s’il fallait faire à la main tout le filé de coton que l’Angleterre fabrique dans une année au moyen du métier self-acting, le travail emploierait 91 millions d’hommes, soit à peu près la population de l’Allemagne, de l’Espagne et de la France.
  2. La livre romaine équivalait à 327 grammes.