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célibat des prêtres, qu’il voudrait voir tous « mariés ou mieux encore veufs, » dernière condition dont en bonne justice l’accomplissement ne dépendrait pas d’eux seuls. J’appliquerais plutôt cet éloge à un petit livre, manifestement publié par lui sous cette même préoccupation démocratique, et qu’il intitule un peu pompeusement le Peuple. Le Peuple ! mot plein d’anxiété et de mystères, que les uns prononcent avec crainte et les autres avec espérance, comme on prononcerait le nom d’un maître inconnu aux volontés capricieuses et toutes-puissantes. Ce roi du monde moderne a des flatteurs comme il a des ennemis, il a ses courtisans comme il a ses détracteurs ; mais chez qui trouvera-t-il un juge ou un guide ? Quel homme, ballotté comme nous sur les vagues de cette mer sans limites, aura le regard assez perçant et le bras assez ferme pour naviguer entre les écueils qui se cachent sous ses flots troublés et profonds ?

Il ne faut pas demander à Michelet pareille clairvoyance. Sa théorie de l’affranchissement par l’amour fait plus d’honneur à son bon cœur qu’à son jugement. Cependant à côté de ces rêveries on rencontre beaucoup d’aperçus vrais sur l’état moral des classes laborieuses en France, et surtout des classes agricoles. Michelet n’a pas ce mépris du paysan, qui a été si longtemps l’erreur de nos orgueilleux démocrates. Il connaissait à merveille l’existence de ces classes rurales aux habitudes sobres, à l’ardeur économe, à l’activité silencieuse, qui forment aujourd’hui l’élément le plus sain de la France. Il y a de fines pages sur l’amour du paysan pour la terre, sa maîtresse, qu’il cultive avec passion toute la semaine et qu’il va voir encore à la dérobée le dimanche pendant que sa femme est aux vêpres, — sur cette armoire à linge, orgueil de la campagnarde, qu’une partie de l’épargne domestique s’emploie à garnir, — sur la robe d’indienne à fleurs qui a remplacé la vieille étoffe de bougran bleu rapiécé en maint endroit, et qui permet à l’ouvrier de conduire sa femme avec fierté à la promenade, enfin sur le jardinet, qui dans la vie toute matérielle du travailleur, est le petit coin où se réfugie la poésie. Si son livre ressemble peut-être un peu trop à une berquinade et pourrait être aussi bien intitulé : « le Paysan ou l’Ouvrier vertueux, » si, deux ou trois ans avant la terrible explosion de 1848, il n’a pas su discerner les chimères, les passions, les appétits qui couvaient sous cette régularité apparente, du moins n’a-t-il pas caressé les utopies socialistes, ni prodigué au dieu populaire de trop grossières flatteries. Je ne pourrai, dans une prochaine étude, accorder le même éloge à son Histoire de la révolution française.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.