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le secret de leur vie à ces bustes massifs, à ces lourdes statues Qu’on croit cependant, sous un long regard, voir palpiter d’un souffle intérieur ; mais s’il a été dépassé par Ampère dans l’étude des mœurs romaines, Michelet l’emporte sur lui par la sévérité de la manière historique. Peut-être même a-t-il franchi la mesure lorsque rejetant, sur la foi de Niebuhr, « comme un insipide roman, » toute la légende des premiers siècles de Rome, il s’est astreint à l’aride besogne de chercher dans les monumens du vieux droit l’unique source de son histoire, remplaçant des traditions incertaines par des hypothèses plus incertaines encore. Je n’ai pas qualité pour m’immiscer dans cette querelle entre érudits ; mais je dois rapporter ici ce qui m’a été affirmé par des juges compétens, c’est que sur plus d’un point alors obscur, aujourd’hui mis en pleine lumière, Michelet a fait preuve d’une divination véritable. Beaucoup de ses conjectures ont été vérifiées par les découvertes de l’épigraphie, et son instinct lui a en quelque sorte révélé ce que Mommsen a établi depuis. Les dons les plus rares de l’historien ne faisaient donc point défaut à Michelet. Nous verrons l’usage qu’il en a fait.


II

Les deux volumes de Michelet avaient paru avec cette mention : Première partie. République. Deux ans ne s’étaient pas écoulés qu’il faisait déjà paraître le premier volume de son Histoire de France. Celle des empereurs romains était sacrifiée, et il renonçait au plan grandiose qu’il avait développé à la fin de son Introduction à l’Histoire universelle, lorsqu’il annonçait l’intention de « se placer sur le sommet du Capitole pour embrasser du double regard de Janus le monde ancien et le monde moderne. » Michelet, il faut le dire et mettre ici le doigt sur une de ses faiblesses, n’était pas homme à s’absorber longtemps dans des travaux où la faveur publique ne l’aurait pas encouragé. La France désirait alors, il le crut du moins, un historien national, et pour répondre plus tôt à cette attente, il sauta par-dessus cette Histoire de l’empire romain qu’il avait déclarée l’introduction nécessaire à l’Histoire de France. Ce fut son premier sacrifice aux exigences de la popularité littéraire, son premier pas dans une voie où il ne devait pas connaître de temps d’arrêt.

Les deux premiers volumes de l’Histoire de France parurent en 1833. Ils conduisent le lecteur jusqu’à la fin du règne de saint Louis. Aussi ne faut-il pas y chercher un récit détaillé des faits dont l’enchaînement constitue notre histoire. D’abord Michelet a toujours entretenu un certain dédain pour les faits. C’est affaire au lecteur de s’en être renseigné d’avance ; pour lui, son métier est de