Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mélancolique, si vous suivez à travers les Marais-Pontins l’indestructible voie Appienne, vous trouverez des tombeaux, des aqueducs, peut-être encore quelque ferme abandonnée avec ses arcades monumentales ; mais plus de culture, plus de mouvement, plus de vie. De loin en loin, un troupeau sous la garde d’un chien féroce, qui s’élance sur les passans comme un loup, ou bien encore un buffle sortant du marais sa tête noire, tandis qu’à l’orient des volées de corneilles s’abattent des montagnes avec un cri rauque…

« Au milieu de cette misère et de cette désolation, la contrée conserve un caractère singulièrement imposant et grandiose. Ces lacs sur des montagnes encadrés de beaux hêtres, de chênes superbes, ce Nemi, le miroir de la Diane taurique, cet Albano, le siège antique des religions du Latium, ces hauteurs, dont la plaine est partout dominée, font une couronne digne de Rome. C’est du mont Musino, c’est de son bois obscur qu’il faut contempler ce tableau du Poussin. Dans les jours d’orage surtout, lorsque le lourd sirocco pèse sur la plaine et que la poussière commence à tourbillonner, alors apparaît dans sa majesté sombre la capitale du désert. »

On m’accusera peut-être de complaisance, mais j’avoue ne rien trouver dans la fameuse lettre de Chateaubriand à Fontanes qui soit peint avec des couleurs plus exactes et plus vives. En revanche, ce qui manque peut-être un peu à cette histoire, c’est la vie des personnages. La rapidité avec laquelle le récit est conduit (toute la république romaine tient en moins de six cents pages) contraint l’auteur à ne mettre en relief que les faits sans s’arrêter aux hommes. Cette allure précipitée ne lui permet pas de nous initier aux mœurs de la société romaine et de nous donner le spectacle de sa lente transformation. Il ne fait point vivre ses lecteurs dans la société de ces patriciens lettrés qui se groupaient autour du dernier des Scipions et qui, sans avoir complètement dépouillé les vertus de leurs pères, avaient acquis cependant, au contact de la Grèce, ce je ne sais quoi de raffiné qu’ajoute à la culture de l’esprit la corruption naissante. Lui qui devait consacrer un jour des pages émues à l’éducation des femmes au moyen âge, il n’a rien trouvé à nous dire de ces matrones romaines, premiers types de la beauté décente et de la grâce sévère, qui vivaient à la maison, faisaient de la laine et ne connaissaient point d’autre ambition que de reposer un jour avec leur époux dans un tombeau commun sur les parois duquel leur double image serait sculptée, la main dans la main, l’époux fixant devant lui un fier regard, l’épouse tournant humblement ses regards vers son époux. Pour faire de ces deux volumes une œuvre accomplie, il ne lui a manqué peut-être que d’avoir, comme l’auteur de l’Histoire romaine à Rome, passé des heures patientes dans les froides galeries du Vatican ou du Capitole, et d’avoir demandé