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ardent que celui de Michelet. Le hasard le mit à cette époque en relation avec la fille d’une grande dame de l’ancien régime qui, après avoir profité de la révolution pour divorcer et épouser un acteur, n’avait pas tardé à divorcer de nouveau pour contracter un troisième mariage plus conforme à son rang. Du mariage avec l’acteur était issue cette jeune fille, qui traînait, lorsque Michelet la rencontra, une existence assez malheureuse. Elle vivait à la charge et à la remorque d’une famille qui rougissait de son origine et des circonstances bizarres de sa naissance. Michelet se laissa émouvoir par cette infortune. De la pitié à l’amour, le chemin n’est pas long, quoi qu’en dise la romance, et il fut bientôt entraîné à contracter avec elle une union où il ne devait pas trouver beaucoup de bonheur. Le résultat de cette union fut d’élever peu à peu entre Michelet et le monde lettré de la restauration une barrière qui ne s’abaissa jamais. L’exiguïté de leur fortune ainsi que certaines particularités du caractère et de l’humeur de sa femme ne permirent pas à Michelet de la conduire dans la société élégante qui s’ouvrait alors librement devant les hommes de lettres. Un scrupule honorable de dévoûment conjugal l’empêcha de s’y rendre seul. Force lui fut donc de se confiner tout entier dans une vie sans douceur de travail et de famille. Peut-être cette concentration trop exclusive de ses facultés sur une préoccupation unique a-t-elle contribué à développer chez lui la surexcitation dont il avait contracté le germe durant les luttes de son enfance contre la misère et la malveillance. À cette forte préparation sont dus (après des Tableaux chronologiques d’histoire moderne) une traduction abrégée de la Scienza nuova de Vico et un Précis d’histoire moderne. Le premier de ces livres est d’une lecture un peu aride, comme l’ouvrage beaucoup plus considérable dont il est le résumé. La lecture des Cinq livres sur les principes d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations (tel est le titre exact de l’ouvrage de Vico), dont Monti disait : « C’est une montagne aride et sauvage qui recèle des mines d’or, » paraît avoir produit une vive impression sur l’esprit toujours ouvert de Michelet, comme celle de tous les ouvrages qui l’ont initié à un ordre d’idées nouveau, comme l’Imitation, comme Virgile. « Je suis né, disait-il, de Virgile et de Vico. » L’ouvrage de Michelet n’eut cependant lors de son apparition et ne conserve aujourd’hui que peu de lecteurs. Ce fut son Précis d’histoire moderne qui jeta les fondemens de sa réputation. Ce livre répondait précisément à un besoin qui avait été signalé l’année même de son apparition par Augustin Thierry dans ses Lettres sur l’histoire de France : celui d’un ouvrage qui fît pénétrer dans les collèges les points de vue nouveaux que les études historiques avaient révélés depuis le commencement du siècle et qui dégageât l’enseignement classique du