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et sans suite tout ce qui lui tombait sous la main : la Mythologie, Boileau, l’Imitation. Ce dernier livre produisit sur lui une impression profonde. L’éducation religieuse de Michelet avait été absolument nulle : soit parti-pris, soit négligence, ses parens ne l’avaient pas même fait baptiser. Les premières notions chrétiennes lui arrivèrent donc au travers de ce livre sublime et simple. Il en fut singulièrement touché. « Comment dire, a-t-il écrit, l’état de rêve où me jetèrent les premières paroles de l’Imitation ? Je ne lisais pas, j’entendais… comme si cette voix douce et paternelle se fût adressée à moi-même. Je vois encore la grande chambre froide et démeublée, elle me parut vraiment éclairée d’une lueur mystérieuse. Je ne pus aller bien loin dans ce livre, ne comprenant pas le Christ ; mais je sentis Dieu. »

Quels accens de l’auteur inconnu avaient rempli et fait ainsi vibrer cette jeune âme vide et sonore ? C’était, si nous devons l’en croire, « la délivrance de la mort, l’autre vie et l’espérance, entrevues au bout de ce triste monde. » Mais n’entrait-il pas dans cet enthousiasme quelque chose d’un idéal plus terrestre et mieux fait pour ravir l’imagination d’un enfant souffrant et studieux ? « J’ai cherché le repos partout, dit l’auteur de l’Imitation, et je ne l’ai trouvé nulle part, si ce n’est dans un coin, avec un livre, in angulo cum libro. » Un coin avec un livre. Tel fut le premier rêve de Michelet ; telle aurait dû être la devise de sa vie.

La gêne se faisait cependant sentir de plus en plus grande dans le ménage de l’imprimeur. Il fallait penser à l’avenir de ce fils qui paraissait né pour une occupation plus intelligente que celle d’assembler des lettres dans une cave. Un ami influent proposa de le faire recevoir comme apprenti à l’Imprimerie impériale. C’était lui assurer une carrière modeste, mais sûre. La tentation fut grande. La prudence humaine disait : oui ; l’orgueil et l’ambition disaient : non. Ce furent heureusement l’orgueil et l’ambition qui l’emportèrent. « La foi, ajoute Michelet, avait toujours été grande dans notre famille : d’abord la foi dans mon père, à qui tous s’étaient immolés, puis la foi en moi ; moi, je devais tout réparer, tout sauver. » Cette foi fit entrer Michelet comme élève au collège Charlemagne, ne sachant à quinze ans ni traduire un mot de grec ni construire un vers latin. Au collège, Michelet souffrit beaucoup. Les railleries de ses camarades, provoquées par sa mise et « ses airs effarouchés de hibou en plein jour, » firent à son âme des blessures plus cruelles que le froid n’en avait fait à ses mains crevassées. Il tomba dans la misanthropie : tous les hommes, tous les riches surtout, étaient mauvais, et il cherchait à les fuir au moins le dimanche en se promenant dans les rues désertes du Marais. Quelque adoucissement fut apporté cependant aux souffrances de son orgueil par la