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prodigieuse. » C’est la commune qui a sauvé la république ! L’amnistie, c’est la justice, et « quant à la grâce, ajoute fièrement M. le docteur Robinet, nous la repoussons. Des hommes sincères qui souffrent pour leur cause ne veulent pas être graciés. Ajoutons que la magnanimité du vainqueur de Paris ne nous offre pas des garanties suffisantes. » Voilà du moins qui est clair ! On ne peut pas dire avec plus de naïveté que ces condamnés dont on plaide la cause ne reconnaissent aucune loi sociale, qu’ils ne veulent rentrer que pour recommencer, pour prendre leur revanche contre le « vainqueur de Paris, » et c’est avec cette apostille que le pétitionnement parti de la rue d’Arras est en train de faire son tour de France, — s’il n’est arrêté en chemin !

C’est une agitation circonscrite et factice qui n’a rien de sérieux, dit-on ; le résultat sera toujours le même, il n’y aura pas plus d’amnistie après les vacances qu’avant les vacances. C’est très vraisemblable ; le gouvernement, nous le pensons bien, n’est pas disposé à rendre les armes devant M. le docteur Robinet et devant ses cliens ; mais croit-on qu’il soit sans inconvénient pour la sécurité, pour la moralité du pays, de laisser traîner indéfiniment des propositions de cette nature ? Voici déjà quelques semaines qu’on en est là. Sauf quelques radicaux toujours à la recherche d’une popularité subalterne, tout le monde semble avoir la même opinion ; tout le monde est d’avis qu’il n’y a rien à faire, et quand il s’agit de décider, les uns proposent l’ajournement, les autres se hâtent de l’accepter. Les habiles tournent autour de la question, cherchant un moyen de sortir d’embarras par quelque combinaison équivoque, et pendant ce temps, dans les polémiques de journaux, dans les commissions parlementaires, dans les discours de réunions publiques, tout est mis en doute. On décore du nom ordinaire de « discordes civiles, » une insurrection qui a mis en péril l’honneur, l’intégrité du pays, qui a exposé la France à rester la spectatrice impuissante de l’occupation de Paris par les Prussiens, si les Prussiens l’avaient voulu. M. Louis Blanc, par la plus étrange méprise, va chercher des exemples dans l’amnistie qui a suivi la guerre civile d’Amérique, et il confond tranquillement les sécessionistes ayant dans leur camp des hommes comme Robert Lee avec ceux qui ont incendié Paris, qui ont commencé par l’assassinat des généraux pour finir par le massacre des otages. L’œuvre régulière de la justice est représentée tous les jours presque comme une mesure de vengeance politique, dans tous les cas comme un acte de répression exceptionnelle. Il y a même des députés qui ont demandé comme la chose la plus simple du monde une révision des dossiers judiciaires, et qui ont eu la prétention de vérifier si les peines prononcées par les tribunaux étaient proportionnées aux crimes ou aux délits qu’on avait à punir. Croit-on que ce soit un régime sain pour une société éprouvée de voir ainsi tout confondu, dénaturé et obscurci ?

Non, sans doute, cela ne peut conduire à rien, il n’y aura pas de