Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’âge d’innocence ou qu’il n’a pas trouvé l’occasion d’en venir aux effets, les gouvernemens ont mauvaise grâce à l’attaquer et, comme nous l’avons dit, ils risquent d’avoir contre eux non-seulement ceux qui croient, mais les tièdes, les indifférens, les philosophes eux-mêmes, qui les accuseront de se prendre de querelle avec des fantômes. Le jour où l’état se défend contre une entreprise, il peut frapper aussi fort qu’il lui plaît, et dût-il abuser de sa victoire, peu de gens songeront à le lui reprocher. Aussi bien il a plus d’une arme contre les doctrines qu’il juge pernicieuses. Les moyens indirects sont presque toujours les meilleurs, et tel ennemi qu’on ne peut attaquer de front redoute beaucoup les mouvemens tournans. On ne peut nier qu’il ne se fasse de grands efforts pour réveiller les mauvaises passions religieuses. Nous voyons se propager autour de nous des rites, des pratiques qui n’ont rien à démêler avec l’Évangile, des dévotions puériles ou malsaines que Fénelon eût peu goûtées et qui eussent révolté Bossuet. On travaille à changer le cœur et le cerveau de la France, à lui faire abjurer ses souvenirs et brûler tout ce qu’elle adorait depuis 1789. Il ne tient qu’au gouvernement de troubler dans leur œuvre ces instituteurs trop zélés. Qu’il multiplie, qu’il améliore les écoles et qu’il sécularise de plus en plus l’enseignement primaire ; ce sera pour la société moderne une meilleure garantie que la déclaration de 1682.

Encore un coup, la commission chargée de faire une enquête sur l’élection de Pontivy agira sagement en dispensant M. le garde des sceaux d’aller aux informations et de lui rapporter ce qui se dit dans les séminaires. Il est toujours mal d’écouter aux portes, et dans ce cas-ci nous ne voyons pas quel serait le profit de cette indiscrétion, nous voyons très bien quel en serait le danger. Quand M. de Bismarck souleva la question religieuse et entama sa dispute avec l’église, le plus spirituel des hommes d’état français, qui prévoyait les inextricables difficultés où il allait s’engager, dit ce mot : « Je crains que M. de Bismarck ne se trompe et qu’il ne prenne des guêpes pour des abeilles. » Il est à souhaiter que la France ne fasse point cette confusion et que son bon sens naturel la mette en garde contre toutes les questions qui sont des guêpiers.


G. VALBERT.